1er Festival Le sable, les mouettes et les guitares électriques | Du 4 avril Au 4 octobre – Trouville-sur-Mer

Reportage de notre envoyé spécial Patrick Ducher

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“CE SOIR, ON VA SE FAIRE UNE BALADE, UNE PUTAIN DE BALADE”

Un concert dessiné, c’est un peu comme le temps normand : on ne sait jamais comment cela va tourner. Le ciel, couvert et menaçant en début de matinée, s’était miraculeusement ouvert pour laisser passer les rayons du soleil sur le parvis de la Villa Montebello. Le décor est minimaliste : un tapis bleu recouvre le sol, une vieille guitare au vernis craquelé repose sur un étui posé par terre, une gigantesque armature de bois de 4 x 4 m est adossée devant de la villa. Une centaine de spectateurs de tous âges (enfants, jeunes seniors) est venue. Ils ne savent pas vraiment à quoi s’attendre. On ne devrait jamais savoir à l’avance, car l’art est plus fort quand chacun laisse vagabonder son imagination.

Le guitariste et co-fondateur de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay – pieds nus et vêtu d’un t-shirt noir à manches longues – farfouille parmi quelques accessoires avant de lancer une note : il dispose d’une cymbale, d’une baguette, d’un morceau de fer, d’un archet et même d’un couteau de cuisine. Il tirera des sons parfois inattendus de son instrument : tantôt fins comme le vol d’une mouette, tantôt tranchants comme des lames de rasoir. Il construira plusieurs boucles pendant les 75 minutes de la performance à l’aide d’une dizaine de pédales disposées en demi-cercle autour de lui.

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Le guitariste et co-fondateur de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay

Pour l’heure, il observe son comparse en train de préparer son support  : “Ce soir on va se faire une balade, une putain de balade” inscrit-il au fusain. Puis, il efface prestement ces mots avec un chiffon. Vient ensuite une esquisse : deux personnages côte à côte, manifestement un homme et une femme. Paul Bloas – lui aussi pieds nus – s’active tel un lutin malicieux. Il macule sa toile de couleurs vives, du rouge vif, du jaune, du noir, une touche de bleu. Les personnages prennent forme. Sont-ce des gisants ? Bloas les enveloppe d’un noir crayonneux sous l’oeil de Tayssot-Gay, en posture de karatéka quand il frotte les cordes de sa guitare. Il donne l’impression de rythmer le geste du peintre. Des notes stridentes et un tempo très rock ponctuent le jet violent de morceaux de charbon sur les personnages. Bloas leur macule le visage, les maltraite, répand la couleur sur les corps qui prenaient vie. On devine enfin la posture. “Debout de terre et d’eau” est inscrit en lettres blanches. Un silence puis des applaudissements à tout rompre une fois l’oeuvre réalisée.

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Le peintre brestois Paul Bloas (à droite)

Des spectateurs viennent échanger avec le peintre brestois qui explique sa démarche. Il connait Serge Tayssot depuis des années, à l’époque où il avait produit des visuels pour Noir Désir. Selon lui, “la musique est primordiale pour mon geste. J’ai besoin parfois d’être dynamisé alors je fais signe à Serge d’être plus nerveux, ou plus doux et je me cale dessus”. Il ajoute : “Je sens tout de suite quand je me plante. Je passe le reste du temps à devoir rattraper mes conneries (…) Le lieu influence aussi énormément la performance. On ne sait jamais comment on va évoluer. On a joué dans des endroits improbables, devant des crocodiles à Madagascar, dans la rue à Aurillac…”. Tayssot-Gay confirme les propos du peintre : “Je parle 5 minutes avec Paul pour savoir comment il va commencer mais c’est tout. Je n’y connais rien en peinture et je ne veux surtout pas intellectualiser le processus de création”. Il ne sait pas, par exemple, s’il se servira de tous ses accessoires ou pas. Je lui demande s’il tire ses influences de Robert Fripp et de ses “Soundscapes” ou de Brian Eno. “Je les ai écoutés étant jeune mais sans plus” glisse-t-il laconique. “Je me laisse porter par le lieu, le public. Parfois, je casse exprès le rythme pour emmerder Paul. Il se passe alors de drôles de trucs. J’aime bien les accidents. C’est ce qui me fait bouger, ce qui me fait avancer dans mon travail.

ligne de front 2En septembre dernier, il disait au micro de la chaîne Youtube de L’Humanité “J’essaie de trouver des endroits pour exister hors de l’industrie. C’est forcément dans des failles. Les espaces de liberté sont de plus en plus réduits pour exister. Je cherche des angles morts”. L’homme se détend petit à petit puis s’ouvre lorsque j’explique comment je suis entré dans la performance : en fermant mes yeux pour me laisser porter par les sons puis découvrir petit à petit l’oeuvre en train de se créer. Il semble apprécier qu’on ne lui parle pas de son ancien groupe. Son regard perçant et inquisiteur se fait plus doux. Il demande à un gamin de 8-9 ans “Ça va, ce n’était pas trop long, tu ne t’es pas ennuyé ?”. Bloas explique quant à lui qu’il ne garde jamais ses oeuvres. “Elles sont éphémères par nature, je les prends en photo ou je les retrouve sur internet” C’est la fin de la journée. Le soleil rejoint la mer derrière Les roches noires, cet ancien palace où Marguerite Duras a habité pendant trente ans. Son fantôme a observé la performance avec curiosité. 

Plus d’informations : Le site de Paul Bloas et de Serge Teyssot-Gay 

Photos et vidéo : Patrick Ducher & Pauline Désormière

 

 

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