Steve Mackay en mars 2014, festival A Vault Jazz

Steve Mackay, immense saxophoniste, qui avait notamment joué avec Iggy Pop et les Stooges est décédé le 11 octobre dernier à San Fransico. Cineartscene l’avait rencontré en mars 2014, lors de sa tournée avec les lyonnais Bunktilt. Constitué du saxophoniste Lionel Martin, du guitariste Fred Meyer et du batteur Thibault Martin, le groupe sévissait à l’époque avec des reprises instrumentales et explosives des Stooges, période Fun House.  Steve Mackay était un véritable gentleman, toujours en quête de nouveaux projets musicaux excitants. Dans cette interview  il nous raconte longuement son parcours et quelques anecdotes de son expérience avec les Stooges.

A l’origine, pourquoi avoir choisit le saxophone et quand avez-vous commencé à jouer ?
J’ai décidé d’apprendre à jouer du saxophone à l’âge de 9 ans, quand des leçons de musique ont été proposées à mon école. Ils ont d’abord essayé de me faire apprendre la clarinette – ils disaient que si j’apprenais la clarinette, il me serait facile ensuite de bifurquer vers le saxo alors que l’inverse n’était pas vrai, et ils avaient raison ! – mais j’ai insisté et mon père m’a aidé à en acheter un.
J’ai aussi voulu apprendre à jouer du sax parce que « Spider Murphy Played the Tenor Saxophone ! » [parole de Jailhouse Rock, d’Elvis Presley – ndlr] – Ma Chanson Favorit au Juke Box, c’etait « Jailhouse Rock » par Elvis ! » J’ai eu 8 ans et gardee mes sous pur cette machine ! [exprimé en français par Steve ndlr] – ou peut-être à cause du sax en plastique que j’avais eu pour Noël à six ans !

Pouvez-vous nous citer quelques musiciens qui vous ont influencé ?
Ma mère était pianiste de bar. Elle connaissait plus de 2000 chansons à l’oreille, et avait plein de disques de saxophonistes comme Stan Getz et Charlie Parker, que j’adorais écouter ! A l’époque aussi, en 1958, à la radio américaine, presque toutes les chansons avaient un sax solo (je pense par exemple à Charlie Brown par les Coasters, King Curtis était l’un d’eux…)
Parmi les autres influences, je peux citer John Coltrane, Paul Desmond (du Dave Brubeck Quartet), Gerry Mulligan (Sax Baryton, comme Lionel Martin de Bunktilt) et aussi quelques obscurs joueurs solistes inconnus…

Qu’est-ce qui vous attirait le plus au début, le Jazz ou le Rock ? Cette question n’a peut-être d’ailleurs aucun sens pour vous…
Le rock m’attirait plus que le jazz, mais un rock teinté de blues dans lequel les styles se mélangent… Une des premières chansons que j’ai appris était Tequila par les Champs !

Parlez moi un peu de Carnal Kitchen et de vos débuts avec les Stooges ?
Après avoir eu mon propre groupe de rock à l’école secondaire (avec comme répertoire les hits des années 1963-1967) et joué dans tout mon état natal du Michigan, je suis entré à l’Université d’Architecture et Design. Presque immédiatement, j’ai trouvé un job dans un Blues Band, devenu un Rythm and Blues, Soul, Band. Nous avions pas mal de succès mais je me suis vite ennuyé à jouer tous les soirs les mêmes morceaux avec eux. Je les ai donc quittés.
Mon ami d’enfance, Marco Lampert, avait appris tout seul à jouer de la batterie et nous rêvions depuis toujours de créer un groupe d’improvisation avec une structure plus libre. C’est ainsi qu’est né Carnal Kitchen (une allusion assez claire au sexe oral !) à Ann Arbor (Michigan). On a commencé à se pointer dans des lieux publics pour jouer. Une de nos premières performances à être très médiatisée était à une grande soirée de l’école d’art. Et là j’ai eu la surprise de voir au premier rang mon pote d’Ann Arbor, Iggy Pop ! C’est là qu’il a décidé de m’enlever à Carnal Kitchen pour m’emmener à Los Angeles enregistrer FunHouse , le deuxième album des Stooges. Cela devait durer six semaines et c’est devenu six mois de tournées dans tous les Etats-Unis !

Quel est votre meilleur souvenir (et le pire !) avec les Stooges ?
Au bout de ces six mois, les choses ont commencé à se détériorer (à cause de l’héroïne) et j’étais presque content quand Iggy m’a viré ! Le meilleur souvenir de cette époque ? Notre concert à New-York, dans un endroit appelé Ungano’s, où nous avons vraiment joué de la musique expérimentale ! (il existe un cd de cette performance, Have some fun, que j’ai dû acheter !)
Mon pire souvenir, plus amusant que douloureux, au fond, c’est quand quelques mois après avoir quitté les Stooges, j’ai été blessé, heureusement sans gravité, à cause de Scott Asheton [le batteur des Stooges – ndlr] qui conduisait un camion de 12 pieds de haut et a voulu passer sous un pont de chemin de fer de seulement 10 pieds et demi ! A cause de cet accident, je n’ai pas pu jouer avec le groupe le soir suivant à Detroit.
Iggy et Ron Asheton [guitariste et frère du précédent – ndlr] me rappelaient aussi une fois où j’ai dû remplacer Scott à la batterie (je sais à peine jouer) pour un concert. Après une répétition de pure forme (avec des bouts de bois sur un ampli !), je me suis retrouvé avec la batterie de Scott à l’Easton Theatre, devant un public traditionnellement hostile.
On a commencé à jouer la première chanson (une nouvelle que je ne connaissais pas !) et Iggy a dû venir me montrer le rythme qu’il voulait. Et ça a recommencé ainsi à chaque chanson, ce qui était terriblement gênant ! Aujourd’hui, quand je regarde en arrière, j’en souris plutôt !

Que pensez-vous avoir apporté au groupe ?
Ce que j’ai apporté au groupe ? Ensemble, nous sommes à l’origine de la rencontre du Free Jazz et du Punk Rock, et c’est pourquoi Funhouse est précisément le disque des Stooges ou même d’Iggy le plus légendaire. Ce qu’ils m’ont apporté ? La chance de réaliser que je voulais devenir musicien professionnel.
J’ai quitté l’université peu après : l’Ecole d’Art voulait que je choisisse entre être musicien ou graphiste !

Et après, avec qui avez-vous joué ? Est-ce vrai que vous avez été dessinateur de BD et d’autres choses plus étonnantes encore, comme électricien ?
Oui, j’ai fait quelques BD pour le magazine Creem en 1970, mais depuis lors je n’ai dessiné que quelques flyers.
Après mon épopée avec les Stooges, j’ai été autorisé à rejoindre Carnal Kitchen, mais en sachant que nous devions jouer des standards du Jazz, ce qui m’a d’ailleurs donné l’opportunité de transformer et d’améliorer ma manière de jouer!

Steve Mackay avec le groupe Bunktilt, lors de leur 1ère répétition ensemble

Carnal Kitchen s’est séparé en 1972 mais on m’a alors demandé d’aider à la formation du « Mojo Boogie Band » (du Blues qui s’est finalement transformé en Rock style Bob Seger). J’ai joué avec eux jusqu’à fin 1976. Puis j’ai déménagé dans la région de la baie de San Francisco où mes amis de « Commander Cody and His Lost Planet Airmen » (Rockabilly, Country-Western, et Boogie-Woogie) avaient pas mal de succès. Je pensais juste avoir des recommandations mais finalement j’ai rejoins « The Moonlighters », un groupe issu d’une scission de Cody, avec un contrat pour un disque à la clé ! Peu après, nous sommes redevenus partie intégrante du groupe de Cody, et j’ai joué avec eux de 1978 à 1982, ce qui m’a permis de faire mes premiers voyages en Europe. J’ai quitté le groupe pour tenter de sauver mon mariage, mais c’était trop tard…
C’est à cette période que j’ai trouvé un job comme ingénieur d’exploitation dans le contrôle de la pollution de l’eau (égouts) pour la ville de San Francisco !
A la fin de 1982, j’ai été invité à me joindre à « Snakefinger’s History of the Blues », avec Philip Lithman, plus connu pour son travail avec les « Residents », dont la tournée s’est achevé en Europe fin 1983. Après cette tournée, je suis resté en Europe. J’ai joué avec un groupe de blues hollandais et j’ai vécu à Amsterdam, jusqu’à ce que mes amis de Violent Femmes m’engagent comme saxophoniste et me ramènent aux Etats-Unis fin 1984.
J’ai alors rencontré, et épousé, une femme très versatile qui ne voulait pas que je parte en tournée bien qu’elle et moi ayons formé une version San Francisco de Carnal Kitchen (elle était une très bonne chanteuse et une bassiste compétente). Nous avons officiellement divorcé en 2001. C’est pendant cette période que je suis devenu électricien. J’ai d’abord appris le métier chez d’autres avant de travailler en indépendant, pendant presque 20 ans. Je ne jouais plus qu’occasionnellement à San Francisco.
Mais début 1998, j’ai eu la grande chance de rencontrer ma compagne actuelle, Patricia, qui me soutient dans ma musique et mes voyages. Puis, en 2003 est arrivé l’appel d’Iggy Pop pour que nous reformions les Stooges. Cela a été une merveilleuse période de dix ans.
Aujourd’hui je suis heureux de revenir avec les Violent Femmes et j’espère bientôt faire un Steve Mackay Europe Tour avec Bunktilt, Speedball JR et Koonda Holaa [les autres groupes avec lesquels il joue régulièrement ndlr].

Combien de disques avec vous enregistré ?
J’ai enregistré en studio en permanence depuis 1977. Actuellement, on peut trouver deux de mes disques [sur Amazon ndlr] : Sometimes Like This I Talk (2011), représentatif de ce que j’ai pu faire avec mes différents groupes et incluant « The Prisoner » chanté par Iggy. Ce morceau figure dans le film de Sophie Blondy, Etoile du Jour (Voir la bande annonce) dans lequel il est aussi acteur. L’autre album est « North Beach Jazz/Carnal Kitchen 40th Anniversary » (2009), avec Marco Lampert le batteur original de Carnal Kitchen et Mike Watt à la basse.

Est-ce qu’Iggy Pop a écouté Bunktilt ?
Il a écouté et aimé !

Propos recueillis par Emmanuelle Blanchet – 23/06/2014

Amorce de bilan avec les Bunktilt

 

En 2013, les membres de Bunktilt, Thibault Martin, batteur imperturbable et infaillible, Fred Meyer, guitariste virtuose et Lionel Martin, sax baryton génial, montent un projet un peu fou : jouer avec Steve Mackay, saxophoniste des Stooges, groupe mythique d’Iggy Pop, précurseur du punk rock. Leur projet est devenu réalité en mars et avril 2014, avec une tournée dans toute la France. Cineartscene a suivi l’aventure depuis le premier jour de répétition, le 17 mars 2014. Trois mois plus tard, Nuit de l’Eté à Villefranche. Occasion de les retrouver pour un bilan à trois voix.

Bilan musical

Thibault Martin : ce qui a été le plus dur, ça a été de revenir à l’origine des morceaux. On a changé nos arrangements dans cette optique là. C’était intéressant mais du coup ça nous a quand même déstabilisés parce qu’on avait quelque chose d’assez abouti, qu’on a recassé pour jouer avec Steve. Maintenant on a à nouveau du travail à faire, qu’on n’a pas eu le temps encore de faire. Mais sinon très positif.

Fred Meyer : D’abord c’était une expérience incroyable de rencontrer ce mec arrivé du Michigan avec ses tatouages ! On a pris dans la gueule un personnage qui a derrière lui 40 ans de musique, un métier énorme. Mais lui a pris dans la gueule une manière de jouer plus moderne, plus technique. Il a d’ailleurs reconnu que Lionel jouait mieux que lui sur certains morceaux, et qu’ils avaient tous les deux à apprendre l’un de l’autre. Sur scène, on s’est vraiment rendu compte de sa dimension par rapport au public, à sa vision globale de la musique. Ce qu’on a perdu un peu d’un point de vue de nos arrangements, on l’a compensé par la solidité qu’il a apportée. C’est un bilan un peu compliqué à faire, car il y a eu des moments supers et d’autres pénibles. Ça n’a pas toujours été facile, il a fallu que chacun d’entre nous trouve ses marques. Si on avait plus de temps en amont, [deux jours de répétitions avant le premier concert, ndlr] on aurait pu aller plus loin…

Lionel Martin : pour moi qui suis aussi saxophoniste, Steve, c’est quelqu’un qui est vraiment au service du son, dans l’intensité. Il n’est pas dans l’exploit technique, il est plutôt dans la simplicité qui ramène au blues. Et puis il a vraiment un son à lui. Il peut jouer n’importe quoi, tu le reconnais toujours, dès les premières notes. Il a une vrai épaisseur, une puissance… ce que j’ai particulièrement aimé, c’est que c’est un homme du live, ce qui est rare. Il recherche toujours à créer du lien. Par rapport, à nous, Bunktilt, ça nous a obligé à la fois à faire bloc et à la fois à nous ouvrir… On a toujours eu des rapports francs et sincères. Il en a été reconnaissant et il a apprécié qu’on défende un propos musical. Mais, lui aussi, quand ça ne lui plaisait pas, il le faisait savoir et nous donnait son idée. Il nous a par exemple fait ajouter un morceau – Cock in my pocket – que Fred a du apprendre en 5 mn ! On a jamais été dans la politesse. D’ailleurs ce n’est pas ce qu’il cherche. On aurait pu se laisser impressionner par son passé, mais on s’est pas fait avoir par ça. Je crois aussi qu’on était assez mûr pour ça.

Meilleur souvenir

Thibaut : Le Poulpe, un tout petit bar, en Savoie, à Reignier. La scène est minuscule. Tu mets la batterie, y’a plus de place autour ! Mais j’étais pas inquiet parce que Lionel y avait déjà joué, il connaissait le lieu. Et là ça c’est bien passé à tous les niveaux. Steve était super bien, il était dans l’échange.
Fred : Bien s’il y a un meilleur, il y a aussi un pire, au Moulin de Brainans, dans le Jura, la veille. Et quand tu tombes bas, forcément tu remontes. C’est peut-être aussi pour ça qu’on a tant apprécié le concert du Poulpe. Et puis il y a cette proximité avec le public du fait de la taille du lieu, Steve était heureux, c’était vraiment magique. Et puis l’équipe était très sympa.
Lionel : Tout à fait d’accord. Et puis les gens avaient vraiment envie d’écouter cette musique, On était porté par le public. A Vaulx Jazz, l’ambiance était très différente, mais c’est un grand souvenir aussi. L’équipe est aussi super et hyper chaleureuse.

L’homme Steve Mackay

Fred : je dirais qu’il est un être exceptionnel de simplicité, de liberté, mais en étant toujours attentif à l’autre.

Lionel : c’est un vrai baba cool comme on en voit plus ! Dans le vrai sens du terme : « je suis libre et je respecte ta liberté ». Et puis il capte tout, il a des antennes. Dès qu’il y a un point sensible, il est là ! Une telle ouverture à l’autre c’est rare. C’est un mec qui a touché des sommets, mais ça ne l’a pas rendu mauvais. Au contraire.

Fred : En tant que musicien, aussi, ce qui est étonnant, avant que tu joues une note, en deux secondes, il t’a calculé ! Le mec, il te regarde, il a une telle expérience humaine, il a une compréhension épidermique des gens qu’il a en face de lui !

Thibaut : pas mieux !

Emmanuelle Blanchet – 23/06/2014

Bunktilt & Steve Mackay à la maison d’arrêt de Villefranche le 19 mars 2014 – Réalisation Jean-Pierre Vial : Gimmev some skin

Bunktilt Steve Mackay à Dunkerque le 29 mars : Fun House

Steve Mackay & l’américain Koonda Holaa à Kaštan (Prague) le 9 avril 2014

Le groupe belge Speedball JR. & Steve Mackay à Bruxelles, en avril 2014

Steve Mackay et le groupe américain Violent Femmes à Athènes le 16 avril 2014

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