Bernard Lavilliers est de retour à Lyon pour la deuxième fois cette année, après son passage à l’Amphithéâtre 3000 le 1er et 2 mars derniers. Pour la petite histoire, il était déjà passé aux Nuits de Fourvière en 2014 par une chaude soirée de juin. La chaleur était aussi là ce vendredi 27 juillet (36° !) mais la fosse avait laissé la place à de bien sages sièges pour accueillir les quelques 3.200 fans dont une majorité de sexagénaires.
Les plus jeunes – des quadras faisant office de teenagers – ont pu se masser devant. Un homme de la sécurité les avaient prévenus : il ne fallait pas danser devant la scène – à peine deux mètres de distance – sous peine de masquer la vue des rangées situées derrière. Sages quoi. Enfin, presque.
Gaël Faure assure la première partie. Mélange de Matthieu Boogaerts et de M pour la voix parfois fragile, de Barry Gibb (Bee Gees) pour le physique et de Magnum pour la chemise hawaïenne, les débuts s’annonçaient plutôt rudes pour le jeune gratteux ardéchois comme il le reconnu d’entrée. Etiqueté “chanson française”, il avait tout pour agacer. Passées les deux premières chansons nimbées d’un romantisme un brin torturé, il est rejoint par un groupe composé d’un batteur assez sec, d’un bassiste efficace et d’une claviériste discrète. Les choses sérieuses purent commencer pour de vrai. Gaël se contorsionne tel un zébulon tout en triturant les cordes de sa guitare électrique. Remarquant que les nuages avaient éclipsé … l’éclipse de lune qui devait avoir lieu pile pendant le concert, il en profita pour interpréter Quelque chose sur la lune sous les bravos d’un public bienveillant. Il conclut une trop brève prestation d’une poignée de chansons en enflammant les spectateurs avec un son de guitare à la Robert Smith (The Cure).
Mélangeant les styles musicaux (salsa, ska, rock…), Bernard Lavilliers a pu compter sur un public qui ne l’a jamais lâché
Le temps d’une courte entracte et voici le groupe habituel de Bernard Lavilliers : Xavier Tribolet (claviers), Marco Agoudetse (sax, violoncelle, percussions), Vincent Faucher (guitares), Mickaël Lapie (batterie, guitare), Daniel Roméo (basse) et Olivier Bodson (guitare, trompette, bugle). Puis la bête de scène fait une entrée tonitruante sur Stand the ghetto. Dur de rester cloué sur son siège. Il a bien du mérite le stéphanois, dans son futal de cuir noir et sa veste cintrée, à onduler gracieusement comme il le fit pendant une heure et demie, le temps de 17 titres, dont 6 du dernier album, le très noir “5 minutes au paradis”. Mélangeant les styles musicaux (salsa, ska, rock…), il a pu compter sur un public qui ne l’a jamais lâché. Certes, il est loin le temps où Best, Rock & Folk et Télérama lui consacraient une demi-douzaine de pages.
Qu’importe, il est toujours là et bien là, virevoltant comme un danseur de flamenco. Peut-être un peu moins vite que dans les années 80, mais certainement avec plus de classe et de panache. Ce soir, il ne s’est laissé aller à aucun aparté politique. C’était place à la musique. De timides danseurs se mirent à se trémousser, en dépit de vigiles plutôt compatissants, sur les très dansants Bon pour la casse et Solitaire. Ensuite, c’est seul à la guitare et perché sur un tabouret qu’il interprète un titre fameux issu des années 70 qui l’ont révélées. “Elle portait à son poignet droit Lembrança do Senhor do Bonfim da Bahia Da Bahia, da Bahia…” Et le public est transporté à Fortaleza. Il enchaîne avec l’un de ses plus gros succès, celui qu’il joue systématiquement (avec bien sûr Les mains d’or en clôture) : On the road again en version quasi-symphonique du plus bel effet.
Les moments forts : Traffic déclenche l’hystérie, mais c’est sur Idées noires – complétement saturé – que la maigre fosse devant la scène se remplit. Impossible de ne pas jouer La salsa, cette “latine de Manhattan qui soulève de haut en bas”. Bernard, Marco et Olivier disparaissent… pour réapparaître au beau milieu de la foule du théâtre romain. Lavilliers pilote la mise en scène tout en haut du théâtre puis se fraye un passage pour remonter sur scène. Ses musiciens, polyinstrumentistes, ont vraiment l’air de s’amuser à chaque concert (Xavier qui jette un petit clin d’oeil à Daniel, Olivier qui taquine Marco…) Ils affichent une complicité qui fait plaisir à voir. Combien d’artistes français peuvent se targuer de tournées marathons à la sortie de chaque album ? “Un monument en mouvement” comme il se décrivait lui-même l’an passé en réponse à Patrick Cohen sur France Inter. Loin d’être sacralisé, de partir en retraite, il continue de chanter, de faire des disques (50 ans de carrière, près de 30 disques en comptant les “live”) et de “parler” aux gens à travers des chansons sociales, politiques, d’amour ou de voyage qui ont gagné en subtilité avec les années.
Extinction des feux à minuit 15, le temps d’une mousse et de laisser filer le dernier funiculaire à Saint-Just. L’occasion de déambuler dans les rues étouffantes de Lyon où le bitume collait aux chaussures, de croiser des badauds venus voir une éclipse absente et de s’imaginer à Cuba, New York, Paris. Ailleurs.
Récit, photos et vidéo de Patrick DUCHER