Le concert de Bertrand Belin a enfin pu avoir lieu ce samedi 19 juin 2021, au théâtre de la Croix-Rousse. Reportage Patrick Ducher
Le petit théâtre de la Croix-Rousse avait repris ses activités il y a à peine une quinzaine de jours. Le concert de Bertrand Belin, originellement prévu avant le(s) confinement(s) marque la fin de la saison avant travaux, comme l’a expliqué Courtney Geraghty, la nouvelle directrice, à un public attentif.
Les 600 places sont occupées à 65% de la jauge et le théâtre affiche donc complet. A titre personnel, il s’agit du premier concert depuis une longue année. S’installer dans un fauteuil pour voir un spectacle vivant, quelle drôle d’expérience. Ce soir, Belin est accompagné de l’ensemble Percussions et Claviers de Lyon, composé de 5 musiciens (xylophones, marimbas, batterie, gong) et de son arrangeur attiré Thibault Frisoni (claviers, basse) pour présenter le disque Concert at Saint Quentin, clin d’œil d’un Johnny Cash des Yvelines ?
Ma première écoute de Bertrand Belin avait été spectaculaire : il avait joué en première partie de Nick Cave lors des nuits de Fourvière en 2013. Les conditions étaient peu favorables (vent, chaleur, public mouvant). Il avait su capter l’attention du public avec ses arrangements atmosphériques et sa voix de velours, ce que n’avait pu faire Julia Holter avant lui. Par la suite, il était venu en showcase pour défendre son album Cap Waller (2015). Affable, courtois, il avait fait une reprise de Jolie Louise (Daniel Lanois) qui avait enchanté la centaine de spectateurs du forum Fnac. Je l’avais perdu de vue par la suite. Souvenir d’un clip “on the road” avec les Liminanas, “Dimanche” (2018), mais j’ai loupé l’album Persona (2019).

Le fan reconnait le titre qui lance la soirée, “Hypernuit”, du nom de son 3ème album éponyme l’ayant révélé en 2010. Applaudissements discrets. “Il a vu sa maison brûler, il revient se venger (…) On lui était tombé dessus, et fait passer le goût des fleurs”. On retrouve cette voix chaude et douce à la fois, mélange de sucre et de miel. La ferveur est retrouvée. Par la suite, Belin tâtera de sa guitare Gretsch. Notes discrètes et qui suffisent à créer une atmosphère doucereuse, souvenue par les percussions tintinnabulantes de l’orchestre. Sylvie Aubelle effleure son xylophone avec un archet, les notes s’envolent. “Il y avait un homme ce matin, ainsi qu’une femme sur le cul”. L’air est lancinant, la batterie ponctue le chant de façon métronomique. Les chansons de Belin sont comme des polaroids. Les paroles, parfois obscures, enrobent un cocon musical doucereux. Chaque mot est égrené méticuleusement. On sent l’influence de Gainsbourg et de Bashung pour la diction, mais Belin apporte quelque chose de différent, de personnel. Point de jeux de mots dans ses textes, son influence profonde venant du poète Christophe Tarkos.
Mais Belin est aussi comédien. Délaissant le devant de la scène et le micro. Il escalade l’arrière-scène, titube et se mue en clochard. La démarche est hésitante, la diction pâteuse. “Paye ta clope !” éructe-t-il… Malaise, amusement. Il entame une danse, tape dans un carton, parle, il est seul dans sa bulle. Des éclairages rouges et bleus habillent la scène. Les percussions tissent des nappes sonores. “Sous une pluie folle, folle, folle, une silhouette entre enfin…”. Entre les chansons, de petits apartés lunaires. Le public est séduit. “La silhouette agite la main, La silhouette agite la main, avisant une personne … ». Il avait expliqué que cette chanson n’a pas de protagoniste, ni de paroles sensées et qu’elle dure 7 minutes. Nous étions prévenus. Et la guitare fait glisser tout cela de façon fluide.
Quoi, c’est déjà le premier rappel ? Une heure trente s’est écoulée et on ne s’est rendu compte de rien. L’orchestre joue une pièce d’Olivier Messiaen. C’est charmant. On imagine un jardin, des petits oiseaux… J’ai parlé de Bashung. Belin livre une version de « C’est comment qu’on freine » totalement déjantée. Il ne se contente pas d’une reprise, il interprète un personnage qui reprend ce titre dingo. Standing ovation et 3ème rappel. “Si tu crois que là-bas, si tu crois qu’il y a mieux pour toi, va, s’il t’en coûte de voir une route, sans l’emprunter, va, on t’oubliera” (“Le mot juste”).
Ce fut une belle soirée de reprise. On en veut plus. Une très belle reprise.