Lucien Martin, très jeune réalisateur, s’est lancé un défi : publier chaque jour – ou presque – sur Facebook un commentaire, une étude, d’un plan extrait de films qui l’ont marqué. Nous vous en proposons trois aujourd’hui, ayant pour lien le souvenir… Avec l’idée bien sûr de vous donner envie d’en découvrir d’autres sur sa page Facebook… Et d’aller visionner ses films sur sa chaine Youtube Nalu’Films Production
WILLY 1ER / France, 2016
Réal. Zoran Boukherma, Ludovic Boukherma, Marielle Gautier et Hugo P. Thomas – Photo. Thomas Rames – Format : 1.85:1 – Numérique – Couleur
Willy 1er est l’histoire singulière et touchante d’un homme de 50 ans venant de perdre son frère jumeau et se décidant (enfin) à quitter le foyer familial pour mener sa propre vie.
Ce plan, tiré d’une scène située à la fin du film m’a provoqué d’étranges frissons dans la salle de cinéma.
D’une comédie dramatique à l’humour presque noir et finalement au caractère très prosaïque, on semble enfin parvenir à toucher l’essence pure et profonde des personnages dans un cadre presque onirique. Outre le jeu de lumières magnifique, la conversation entre les deux Willy qui se remémorent l’être cher qu’ils ont chacun perdus est remarquablement interprétée.
Les deux ombres de cette douleur qui les hante, représentative de ce qu’ils ne parviennent pas à s’expliquer ou refusent d’affronter en face s’approchent lentement d’eux. On entre ici dans la phase d’acceptation, de communion avec leurs souvenirs. A la fois graves, bienveillants et libérés, ces fantômes semblent enfin pouvoir partir sereinement.
Sans faire leur deuil, les personnages décident de reprendre leur vie en main, et surtout de s’affronter eux-même face à face (le fait de faire jouer le personnage de Willy et son frère jumeau est géniale).
Un plan en réelle suspension, à la frontière des temps et des mondes, d’une portée sensible extrême et surtout récit d’une magnifique émancipation.
IN THE MOOD FOR LOVE / Chine, 2000
Réal. Wong Kar Wai – Photo. Christopher Doyle – Format : 1.66:1 – 35mm – Couleur
J’ai curieusement très peu de souvenirs d’In The Mood for Love. Peu de souvenirs… à part ce plan, m’ayant marqué de manière tout à fait inattendue.
Tout d’abord, le travail de perspectives réalisé et parcourant l’ensemble de l’oeuvre ressort admirablement ici.
Wong Kar Wai cloisonne sa caméra, de même que ses acteurs, travaillant ses symétries et ses lignes de fuites comme sur une peinture. Les personnages posent dans ce décor intemporel – traversé de part et d’autres d’objets archaïques – captés dans un mouvement de tissu et de corps en instants figés. Le calme apparent et l’atmosphère particulière révèlent un aspect tragique de l’oeuvre, celle d’une errance continue ponctuée par un flagrant amour bridé et révolu. On aperçoit une belle métaphore avec cet ancien téléphone disposé en amorce, flouté car inutile : la communication est superflue, les paroles ponctuées de non-dits et les comportements contenus, là où le dialogue passe par l’image, la musique et le regard.
Les costumes, magnifiques, prolongent l’envoûtant travail de lumière de Doyle, et son usage de couleurs saturées complète avec une belle poésie ce plan hors du temps.
ÉTREINTES BRISÉES / Espagne, 2009
Réal. Pedro Almodovar – Photo. Rodrigo Prieto – Format : 2.35:1 – 35mm – Couleur
Los Abrazos Rotos est de loin le film d’Almodovar qui m’a le plus marqué.
Dans cette scène – où le passé ressurgit – Mateo vit l’un de ses derniers instants de couple heureux après avoir pris la fuite avec Lena. Cette maison où se mêlent souvenirs et réalité est non sans rappeler celle de Ferdinand et Marianne dans Pierrot Le Fou. Là, toute l’esthétique porte un sens : le rouge et l’omniprésence des couleurs chaudes dégagent à la fois une douce chaleur et une nostalgie vibrante, propres au cinéma du réalisateur. Paradoxalement, ce sont des couleurs froides qui dominent ici, imprimant un sentiment de fatigue et une portée tragique évocatrice. Décentrés, les personnages sont des inadaptés, vivant un amour impossible. La lumière déclinante semble ainsi métaphoriser ce dernier moment, vécu par le couple.
Posant comme sur une photo, ce dernier est filmé tel une bribe de souvenir immortalisée, rythmé par la chanson de Cat Power.
Lucien Martin