Ouch ! Records, le label lyonnais exclusivement dédié aux vinyles avait investi l’Opera Underground pour présenter un “double bill” de prestige : le duo Lionel Martin & Mario Stantchev et le quartet new yorkais Endangered Blood. Deux styles différents, deux ambiances, deux expérience sonores alliant grâce et punch. Le credo du label : No borders !

Lionel Martin, le fondateur de Ouch ! Records est infatigable. La veille, il était à La Dynamo à Pantin dans le cadre de Banlieues Bleues, le lendemain, il filera au musée des Confluences pour plusieurs animations musicales spécial Nuit européenne des musées, en duo avec le batteur Sangoma Everett, après un détour l’après-midi par un magasin de disques de Bourg-en-Bresse pour un showcase marquant la sortie de l’album Revisiting Afrique… Ouf !

Le pianiste Mario Stantchev et le saxophoniste Lionel Martin, fondateur du label Ouch ! Records

Le pianiste Mario Stantchev et le saxophoniste Lionel Martin, fondateur du label Ouch ! Records

C’est un retour au bercail pour Martin, qui avait enflammé la salle avec le groupe de “crunch music” – de l’ethio jazz survitaminé – Ukandanz l’hiver dernier. Avec Stantchev – ces deux-là se connaissaient sur le bout des touches – il a offert une nouvelle version de leur set dédié à la musique du compositeur Louis Moreau Gottschalk (1829-1869, et précurseur du ragtime) inspiré de l’album Jazz before Jazz sorti en 2016. Chacune des trois interprétations auxquelles le scribe a assisté était différente. Celle de ce vendredi a donné lieu à plusieurs moments spéciaux : Martin faisant le tour du piano silencieux, puis soufflant dans l’un de ses saxos pour que se propage le son sur les cordes du piano et génèrer de très fines vibrations. Puis, changeant d’instrument, le voilà qui souffle plus fortement. L’onde se propage sous l’oeil de Stantchev qui laisse le son flotter, comme aimanté par les cordes. Moment de grâce.

La musique de Gottschalk, sous des aspects séduisants et délicats, cachaient néanmoins une critique acerbe de son époque. Ainsi, Romance cubaine semble évoquer la douceur de vivre sur une île alors paradisiaque. Mais derrière le soleil et les vêtements légers des autotochnes se cachaient des traces de coups de fouet. Musicien et nomade, l’histoire de Gottschalk est singulière et digne d’un roman de RL Stevenson (lire à ce sujet “Les Voyages extraordinaires de L. Moreau Gottschalk, pianiste et aventurier”).

Sur Riot (Rébellion), Martin arpente l’avant-scène d’un pas martial, puis Stantchev martèle son clavier à son tour, jonglant furieusement à tour de bras en regardant le public d’un oeil mi-rieur, mi-goguenard.

Endangered Blood - Soirée Ouch ! Records
Endangered Blood

Avec Endangered Blood, on passe du soleil à un jazz new-yorkais hyper rythmé, dans le plus pur esprit “free” hérité d’Ornette Coleman. Du reste, le quartet lui rend hommage avec une très belle interprétation de Faces and Places. Découvert par le responsable de la programmation du Péristyle, Olivier Conan, l’été passé, Endangered Blood a tapé dans les oreilles de Lionel Martin qui a décidé de produire leur disque Don’t freak out en vinyle.

Chris Speed
Chris Speed

La rythmique est menée par le spectaculaire batteur Jim Black, du groupe expérimental Alas no axis. Il maltraite ses fûts avec une délectation évidente, usant parfois de divers accessoires (morceaux de métal, micro-maillet en caoutchouc, …). Les deux souffleurs ne sont pas en reste, alternant entre sonorités les plus délicates (écoutez l’extrait) et dissonances bruitistes à la John Zorn (une référence pour le contrebassiste Trevor Dunn, croisé après le set). Par moment, Chris Speed se plie en deux et son sax ténor touche presque le sol. On se souvient des Lounge Lizards, le groupe de John Lurie qui a réalisé plusieurs musiques de films pour le réalisateur Jim Jarmush.

Le public apprécie la virtuosité et manifeste son approbation. Dommage que l’avant-scène vide créé une certaine distance, ce qu’a semblé regretter Black après le set. “Je me suis senti un peu isolé soniquement” m’a t-il confié, ajoutant néanmoins que l’ambiance était bonne et le lieu fantastique. On repart la tête ensoleillée et plein de rythmes.

Reportage de Patrick Ducher – Photos Patrick Ducher et Emmanuelle Blanchet

Le label Ouch ! Records

OUCH ! RECORDS, label spécialisé dans le disque vinyle, est né en 2016 à l’initiative du saxophoniste Lionel Martin.  Son objectif : retrouver la richesse et la chaleur du son de ce support et produire en série limitée (500 exemplaires maximum) des objets qui plairont autant aux amateurs de musique qu’aux collectionneurs. Loin de n’être ce qu’il ne serait pas honteux qu’il soit – un outil pour la production des disques de ou avec Lionel Martin – le label a déjà sorti plusieurs artistes ou compilation très différents : la chanteuse canadienne Sate, le clarinettiste Louis Sclavis, le pianiste Mario Stantchev, le quatuor new-yorkais Endangered Blood, les musiciens guinéens Kwi Bamba et l’orchestre de Gama Berema  une compilation de la collection Zanzibara. Le tout seul ou en collaboration avec les labels Cristal Records et Buda Musique. Derrière ce qui s’affirme de plus en plus comme une véritable ligne éditoriale, il y a un slogan qui lui va comme un gant : no border ! Ce printemps, le label est passé au stade supérieur en sortant coup sur coup trois albums incontournables : Musica sin Fin de Mario Stantchev, Revisiting Afrique du duo Sangoma Everett & Lionel Martin et Don’t Freak Out de Endangered Blood.
EB

 

Le bananier – extrait de Jazz before jazz avec Lionel Martin (sax) et Mario Stanchev (Piano)

Endangered Blood avec Chris Speed (tenor sax), Oscar Noriega (alto sax), Jim Black (batterie) et Trevor Dunn (Contrebasse)

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