Patti Smith était en concert le 23 juin aux Nuits de Fourvière. La « godmother of punk » a enflammé le théâtre romain devant 4.000 fans aux anges ». Patrick Ducher nous livre un compte rendu détaillé de la soirée. Histoire de consoler – ou faire pleurer de désespoir – tous ceux qui n’y était pas !

Patti Smith - Nuits  de Fourvière 230622

Il est parfois délicat d’écouter ses idoles. Surtout quand celles-ci font partie du patrimoine mondial du rock. Surtout quand on a loupé l’idole en question plusieurs fois lors de ses derniers passages lyonnais (quelle idée d’être parti en vacances…). On a peur d’être déçu. Le dernier disque studio de Patti Smith, Banga, remonte à dix ans. Elle a depuis publié pas moins de 4 livres (Glaneurs de rêves, M Train, Dévotion et L’année du singe). Ce soir, le public est très mélangé. Beaucoup de sexagénaires, mais aussi énormément de jeunes gens venus voir le “mythe”.

Une longue tournée européenne pour Patti Smith

Patti Smith a quitté les États-Unis depuis plus d’un mois pour cette tournée estivale en Europe. Elle était à Madrid deux jours avant son escale lyonnaise, elle se rendait à Athènes deux jours plus tard. On découvre via Instagram qu’elle s’est baladée dans la capitale des Gaules, prenant le temps d’une pause dans un pub du vieux Lyon, le bien nommé “Smoking Dog”, en toute simplicité, avec ses fidèles musiciens : le batteur Jay Dee Daugherty coiffé d’un drôle de chapeau, le bassiste et claviériste Tony Shanahan, son propre fils, le talentueux guitariste Jackson, sa fille Jesse (qui sera présente aux claviers pour le rappel) et l’inaltérable Lenny Kaye, compagnon de route et de studio des premiers jours. Lenny a même fait un petit détour habituel à la librairie-disquerie Bouldingue. Il était impensable de ne pas être au premier rang après avoir patienté plus de 4 heures devant le théâtre romain de Fourvière, avec un ciel menaçant de libérer des trombes d’eau, comme ce fut le cas la veille.

(Not) Singing In The Rain

Moment de convivialité avec nos voisins de concert, venus avec des munitions. Le peintre Art Flaye avait ainsi amené une planche-apéro avec tout ce qu’il fallait dessus (saucisson, pâté en croûte, jambon…). 21 heures 30. Patti est pile à l’heure pour saluer ses 4.000 adorateurs, pardon spectateurs. En guise de préambule, elle remercie les dieux de la météo de s’être montrés cléments ce soir. Elle entame son set avec un morceau du mythique album Horses, celui qui lui a apporté la notoriété après qu’elle ait traîné ses guêtres dans tous les clubs new-yorkais. Les amateurs apprécient. Le répertoire couvrira l’intégralité de sa discographie, de Radio Ethiopia (Pissing in a River) à Nine (Banga) avec de nombreux moments de bravoure.

 “I’m dancing barefoot, Heading for a spin, Some strange music draws me in…” Dancing barefoot est le premier “tube” de la setlist. Le public reprend le refrain en choeur et l’espace d’un instant, on se replonge dans ces seventies de souffre. Elle est habillée tout en noir : veste noire, gilet, pantalon et croquenots. Vers le milieu du concert, elle tombera le gilet.

Ce qui frappe instantanément, c’est sa capacité à alterner les moments de quiétude relative, les guitares acoustiques et une fureur où son corps entre littéralement en transe, et où elle est presque victime de convulsion. C’est le cas notamment sur Pissing in a river, un titre de 1976 qu’elle interprète avec une fougue punk époustouflante, littéralement pliée en deux sur scène, ponctuant la rythmique imparable de Jay Dee Daugherty.

Patti Smith est une habituée des Nuits de Fourvière puisque c’était son 6ème passage. “Chaque fois, dès que j’arrive, je prends en photo ces colonnades, ces arbres. Toujours la même putain de photo. J’adore ce lieu”. Le set durera 1 heure 30 et on est tout simplement bluffé par l’énergie de cette dame de 76 ans à la crinière de lionne. Le public scrute chacun de ses gestes. Sur les morceaux les plus virulents, elle éructe des jets de salive puis se rince la bouche d’une mixture dans une tasse placée devant une enceinte face à elle. Le groupe est à l’unisson. À un moment, Jackson se lance dans un long solo, accompagné de Tony Shanahan. Patti est assise et admire son garçon. Sur chaque solo, elle se positionne en retrait, s’éloigne des projecteurs pour laisser son instant à chacun. Lenny Kaye livrera une version pêchue de I Wanna Be Your dog des Stooges. Iggy Pop était justement passé à Lyon quelques semaines plus tôt !

Rock’n’roll attitude

Un jeune roadie lui apporte ses lunettes. Elle lit un extrait de Howl, le poème épique de Allen Ginsberg, qu’elle a bien connu. Les allitérations fusent et on revit l’épopée beat le temps d’un instant. Deux reprises de Dylan dans la soirée. Patti empoigne une guitare acoustique pour l’occasion. Sur One Too Many Mornings, elle embrasse l’instrument. Jimi Hendrix n’est pas loin non plus (Stone Free). Elle invite ensuite le public à souhaiter un bon anniversaire à une amie photographe, Lynn Davis, dont elle sait qu’elle sera connectée mentalement avec elle.

Elle semble lessivée après chaque éructation et disparaît quelques secondes, en se triturant les cheveux. “C’est dingue, je peux me faire des tresses et captiver des gens avec ça. En fait, c’est pour éviter de les avoir dans le visage. Bon, on continue, maintenant que je suis belle”. Puis elle annonce ZE morceau : “Je l’ai écrit pour le père de Jackson et de Jesse”. “Come on now, try and understand, The way I feel when I’m in your hands, Take my hand, come undercover, They can’t hurt you now”. C’est tout le théâtre qui reprend Because the night (… belongs to lovers, Because the night belongs to us)”. Le nombre de reprises est phénoménal. Bruce Springsteen est en tête bien sûr, mais il y a aussi U2, Garbage, Cascada, 10,000 Maniacs…

Fourvière s’enflamme

On s’approche de la fin. Dommage, elle n’a pas chanté Frederick, une autre ode à son défunt mari, le guitariste Fred “Sonic” Smith. Ce morceau ne m’a jamais quitté depuis que je l’ai entendu à 15 ans. Quoi qu’il en soit, le final sera exceptionnel. Elle semble murmurer “I’m tired” à l’oreille de Lenny Kaye. Pourtant, avec Gloria, elle mettra littéralement le feu à l’auditoire, faisant scander chaque lettre de ce prénom emblématique. Elle saute, trépigne, se démène comme une diablesse.

Sa fille, venue rejoindre le groupe sur scène aux claviers, sourit. Patti a les bras grand ouverts, comme pour recevoir les bonnes vibrations du public en plein coeur. Elle invite les gens à chanter d’un mouvement des mains. Tantôt ses poings sont levés pour revendiquer “le pouvoir au peuple” lors d’un extraordinaire rappel. À Berlin, elle avait arraché les cordes d’une guitare électrique. Elle fut plus calme à Lyon, mais on ressent sa folle énergie notamment pour encourager les gens à voter.

Power To The People conclut plus de une heure et demie de rock’n’roll. Les vieilles gloires des années 70 deviennent de plus en plus rares. Je ne peux m’empêcher de penser à Joan Baez qui déclarait en 2018 dans Télérama : “J’ai eu la chance de faire partie d’une incroyable génération qui a vu émerger Dylan, Leonard, Cohen, Joni Mitchell, les Stones, les Beatles… Nous sommes encore quelques-uns debout. Les dernières feuilles de l’arbre. Il faut juste accepter qu’un jour cette histoire-là se referme”.

Setlist : Redondo Beach (Horses), Grateful (Gung Ho), The Wicked Messenger (Dylan), Dancing Barefoot (Wave), Footnote to Howl (poème Allen Ginsberg), Don’t Say Nothing (Peace and noise), Free Money (Horses), My Blakean Year (Trampin’), Beneath the Southern Cross (Gone again), Stone Free (Jimi Hendrix), I Wanna Be Your Dog (Stooges) (Lenny Kaye), Nine (Banga), One Too Many Mornings (Dylan), Because the Night (Easter), Pissing in a River (Radio Ethiopia), Gloria (Them). Rappel : People Have the Power (Dream of life)

Un extrait du concert :

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