Superspectives, le festival qui ouvre la création musicale contemporaine au plus large public présentait le 22 juin une soirée avec Alexis Paul, accompagné de son orgue de barbarie, le vidéaste improvisateur Lionel Palun et le pianiste François Mardirossian unis pour transfigurer l’album Glassworks de Philip Glass. Reportage de Patrick Ducher.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce concert se méritait ! Le pianiste François Mardirossian confie qu’à chaque fois qu’il joue du Philip Glass… il pleut à verse ! Une heure et demie avant de commencer, le ciel lyonnais s’obscurcit, la grêle commence à tomber, suivie de grosses gouttes de pluie. Un mail tombe aussi, 45 minutes avant le début du concert : celui-ci est finalement maintenu. Miracle : le public était au rendez-vous à l’occasion de cette 4ème édition du festival Superspectives qui explore cette année les liens entre musique et environnement. Abrités sous d’immenses platanes ou assis sur des bancs d’école placés sous le préau de la cour de la maison de Lorette, les spectateurs se sont délectés d’une soirée exceptionnelle.
Cette musique nécessite qu’on rentre en elle, qu’on l’accepte, qu’on se laisse bercer par elle. Étant adolescent, j’avais écouté “Glassworks” (1981), l’album qui a fait la renommée de Philip Glass. Impossible de savoir pourquoi, car j’étais plutôt branché rock dur à l’époque. Peut-être que la tronche de faux Lou Reed du compositeur américain m’avait interloqué ? Ou alors le côté répétitif et mélodieux de ses compositions m’avait tout simplement envoûté ? Plus tard, j’ai trouvé des passerelles vers la musique de Brian Eno (“Music For Airports”), Robert Fripp et ses boucles électroniques (dont les “Frippertronics” préfigurent le renouveau de King Crimson) et David Byrne (“My Life In The Bush Of Ghosts”) au début et au milieu des années 80.
La pluie fait des claquettes…
La description du concert sur le programme est étrange : “musique minimaliste, orgue, vidéo et piano”. En fait d’orgue, j’ai eu l’impression d’assister à un concert de la grande époque de Tangerine Dream (période “Zeit”) ou Klaus Schulze (“Timewind”) des années planantes baba cool.
Les sons que tire Alexis Paul de son orgue de barbarie sont bizarres. Certes, il y a des cartes perforées, mais sous le coffre en bois de son orgue vintage se trouve une multitude de pédales et de prises électriques. Je l’observe attentivement : il triture des boutons et ajuste divers appareillages. On s’imagine dans un avion, prêts à décoller. Sur le mur au fond de la scène, Lionel Palun projète des animations hypnotiques, des cercles concentriques, des lignes fractales, des formes trapézoïdales…
Puis François Mardirossian entre en scène. Le pianiste commence par effleurer les touches de son Bösendorfer. Les notes sont répétitives et les animations semblent réagir au son du piano. Des zébrures apparaissent, comme des parasites. Vraiment étrange. Tiens, on oublie complètement la pluie, qui a presque cessé, comme par enchantement. Il est vrai que nous sommes dans un lieu spécial, au coeur de la colline, entre la Basilique de Fourvière et la Cathédrale Saint-Jean, un lieu de prière, de mission… de miracle ?
Les variations Glass
La petite fille d’à peine 8 ans assise à côté de moi semble subjuguée par les couleurs qui défilent sur le mur au fond de la scène, protégée méticuleusement d’une gigantesque bâche noire. Ce n’est certainement pas le type de musique qu’une gamine de cet âge écoute habituellement. Toujours est-il qu’elle écoute sagement, les yeux grands ouverts.
Alexis Paul alterne entre sonorités d’orgue de barbarie classique et bidouillages électroniques. Le mélange des genres pourrait rebuter. Pourtant il séduit, car il est complètement fluide et naturel. Le piano semble suivre le rythme des animations – Lionel Palun s’est coiffé d’un casque de réalité virtuelle et fait des gestes amples avec ses bras – tantôt impulser sa propre rythmique. Le toucher de Mardirossian devient lourd comme un marteau, puis transforme le son de son piano en harmonies cristallines qui bercent le spectateur. Chut, la petite fille s’est endormie…
Patrick Ducher
Extrait du concert :