De notre envoyé spécial Patrick Ducher

En 2013, le vénérable Victoria & Albert Museum de Londres organisait la première exposition dédiée à une vedette rock interplanétaire : David Bowie. L’événement a connu un énorme succès et l’exposition s’est déplacée par la suite à Paris, Barcelone, Berlin, Chicago, Sao Paulo ou encore Tokyo.

Quatre ans plus tard, le V&A renouvelle l’expérience avec LE super groupe de rock progressif emblématique des années 70 : Pink Floyd. Au menu – visuels décalés, cochons gonflables, guitares électriques et divers artefacts psychédéliques.

Chaque période du groupe est introduite par une cabine téléphonique rouge so British contenant des livres, des coupures de presse, des photos replaçant le(s) disque(s) dans le contexte de l’époque. Pink Floyd a incarné plus que tout autre groupe “l’esprit psychédélique” de l’époque, notamment grâce à leurs concerts dans le mythique club underground UFO de décembre 66 à juin 67, le haut lieu des hippies fréquenté par Yoko Ono, Jimi Hendrix, Procol Harum entres autres.

Le groupe fut l’un des premiers à mélanger musique planante et light shows avant-gardistes. C’était aussi l’époque où il était “cool” d’écouter ce type de musique totalement défoncé. Du reste, c’est ce qui a perdu son poète-leader allumé, Syd Barrett, éjecté dès 1968 du groupe qu’il avait co-fondé – avec le bassiste Roger Waters, le batteur Nick Mason et le claviériste Rick Wright – pour cause “d’absences”.

Les visiteurs – souvent des couples de sexagénaires curieux en sandalettes ou de vieux rockers à l’oeil humide arborant des t-shirts informes – se trouvent replongés dans une atmosphère nostalgique où l’on croyait que le rock pouvait encore changer le monde : affiches vintage, instruments électroniques bizarres (à quoi sert un “azimuth coordinator” ?), pochettes extravagantes réalisées par le duo Storm Thorgerson-Aubrey Powell plus connus sous le nom d’Hipgnosis… Les “reliques” sont scrutées comme des oeuvres d’art à part entière. Une large section de l’exposition est consacrée à l’album mythique Dark Side of the Moon produit en 1973. Normal, étant donné qu’il est resté dans le Billboard américain pendant plus de 17 ans et qu’il représente l’une des meilleures ventes d’albums de tous les temps. Pas mal pour un disque qui ne dure “que” 43 minutes. Le storyboard du clip conçu pour le titre Time – des dessins sur calque réalisés par le designer Ian Emes – est présenté sous cadre. Pink Floyd a aussi été l’un des premiers groupes à proposer des clips vidéo bien avant l’avènement de MTV dans les années 80 !

The Pink Floyd Exhibition : une atmosphère nostalgique où l’on croyait que le rock pouvait encore changer le monde

Chaque album suivant est lui aussi présenté dans un espace dédié. Pour Wish You Were Here (1975), on a même droit à un document exceptionnel : un polaroïd d’un Syd Barrett méconnaissable pris par hasard par Nick Mason durant l’enregistrement du disque dans les fameux studios d’Abbey Road. Pour Animals (1977), c’est le making-of de la pochette culte qui est présenté : une demi-douzaine de photographes a shooté le gigantesque cochon gonflable en train s’envoler dans les airs au-dessus de la centrale de Battersea une fois détaché de son filin.

Le départ de Roger Waters, le principal auteur des textes du groupe, n’est pas occulté. Force est de reconnaître que le groupe a vendu encore plus de disques par la suite, mais la magie semblait s’être évanouie en même temps que l’innocence des années 70.

Sous l’impulsion du guitariste virtuose David Gilmour, Pink Floyd a sorti deux autres disques après le départ de Waters en 1985 : A Momentary Lapse of Reason (1987) et The Division Bell (1994) et puis … plus rien car The Endless River (2014) n’était qu’une compilation de chutes de studio sorties en hommage à Rick Wright décédé en 2008.

Dans une courte séquence, le designer Storm Thorgerson explique l’oeil rieur comment la pochette de A Momentary Lapse of Reason a été créée : 700 lits d’hôpitaux ont été disposés sur une plage du Devon ! Les organisateurs du V&A ont aussi reconstruit des éléments de la pochette de l’album live Delicate sound of thunder (1988). La scénographie la plus spectaculaire reste indubitablement celle consacrée aux deux statues géantes en métal (voir ci-contre) réalisées pour la pochette du disque The Division Bell.

La visite se termine dans une grande pièce dans laquelle sont projetées quelques vidéos éparses couvrant toutes les périodes du Floyd : extrait d’un concert de 1967 à Londres, un clip de Division Bell, le titre Comfortably numb joué lors du mythique concert de Live8 en 2005, la toute dernière fois où les quatre musiciens ont joué ensemble après vingt ans de disputes entre Waters et ses trois ex-collègues.

Entretemps, Gilmour et Waters ont sorti des disques solo et fait des tournées monumentales, mais il y a belle lurette que le charme n’opérait plus. Des “tribute bands” – groupes de fans jouant les œuvres de Pink Floyd à la note près tels que The Australian Pink Floyd Show ou BritFloyd – tentent de recréer la magie d’antan à destination de fans nostalgiques (et de leur descendance). Certains diront que ce qui a été ne peut plus être, d’autres – ceux qui n’ont pas connu l’âge d’or – s’en réjouiront. Au final, on a regretté la part somme toute réduite dédiée à The Wall (1979) : quelques figurines et personnages gonflables conçus par Gerald Scarfe, une petite scénographie, un clip…

L’exposition avait été annoncée à grand renfort d’interviews. On a notamment vu Nick Mason photographié devant le Parlement britannique et un gigantesque cochon gonflable (message post-Brexit déguisé de la part d’un groupe bien moins politisé que son ex-mentor Waters ?).

Là où les réservations en ligne pour l’exposition David Bowie Is s’étaient vendues en clin d’oeil sur tout l’été 2013, c’était loin d’être le cas pour Pink Floyd. Qu’importe.

Certains fans continueront de ne jurer que par Syd Barrett, d’autres par Waters, les autres restant fidèles au groupe post-1985… Plus de deux heures se sont écoulées, et on n’a pas vu le temps passer. Reste à écumer la traditionnelle boutique de souvenirs en quête de bribes du passé sous la forme de badges, de livres, de t-shirts et autres posters.

L’exposition s’intitule “Their Mortal Remains”(littéralement “Leurs dépouilles mortelles”), un clin d’oeil morbide mais surtout très pince-sans-rire sur une carrière de 50 ans. Mais combien reste-t’il de stars de la même période encore capables de tourner ou de produire des disques ? Ils se comptent sur moins que les doigts d’une main : les Rolling Stones, Paul McCartney,Neil Young et Bob Dylan… Il faut en profiter.

PLUS D’INFOS : www.vam.ac.uk/exhibitions/pink-floyd

Reportage : (C) Patrick Ducher – (c) Photos :  Pauline Désormière

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