Réussir un bon concert pour un tribute band de Pink Floyd est une entreprise délicate nécessitant une mécanique de précision. Celle mise en œuvre par les Echoes and More dans le bel écrin qu’est l’EMS, à Noisy-le-Grand, a permis à un peu plus de 600 personnes de replonger pour beaucoup dans leur adolescence le temps de deux « great gigs ». Invité par le groupe à venir dédicacer mon livre Pink Floyd en France – Les dernières briques (Eclipse Editions), j’ai eu la grande chance de vivre l’ambiance du soundcheck. Une ambiance multicolore riche en émotion.

 

Un répertoire classique

La soirée s’est divisée en deux temps d’une heure chacun environ. Dans la première partie, de gros morceaux de The Dark Side Of The Moon (avec Money, Us And Them, Brain Damage et Eclipse), flashback psyché avec un Astronomy Domine particulièrement pêchu et deux morceaux post-Waters (Learning to Fly et High Hopes). Le public de connaisseurs reconnaît les classiques. Les curieux venus entendre ces sonorités légendaires sont bluffés par le light show largement teinté de pink et habilement orchestré par Romain Chaumeil (de Pulse Conception). La structure de l’Espace Michel Simon permet du reste une grande proximité avec le groupe.

Time … for a lapsteel moment par Francis Guigamp

Concert part II : les Echoes and More s’attaquent au mur

Le groupe attaque fort avec un One of These Days mettant en valeur la basse solide d’Arnaud, campé solidement sur le devant de la scène. Tous les spectateurs frappent dans leurs mains avec entrain. Les enceintes crachent un « I’m gonna cut you into little pieces » qui lance véritablement le morceau, ponctué d’un martèlement de maçon de Hos, qui avait la chance ce week-end de disposer d’une batterie signée Nick Mason, apportée et installée avec une précision maniaque par Janssy. Le restant des titres de Dark Side s’égrènent : Time, Breathe

Puis on entend les premières notes au clavier annonciatrices du solo vocal du Great Gig In The Sky. Ketty, petit bout de femme énergique toute vêtue de noir, attaque avec fougue ce morceau de bravoure. Généralement, cette charge est répartie entre deux, voire trois choristes, car c’est LE moment à ne pas louper. Le public ne s’y trompe pas et applaudit à tout rompre.

Moment de grâce avec le Great Gig de Ketty Orzola

Ensuite, Wish You Were Here est un moment très spécial pour PhilO, le chanteur. Saisi par l’émotion, la voix étranglée, il a néanmoins pu compter sur le soutien de ses camarades, notamment le deuxième soir, quand tout le groupe s’est joint à lui pour interpréter des paroles lourdes de sens pour qui a connu un deuil. “How I wish, how I wish you were here, We’re just two lost souls swimming in a fish bowl, Year after year”…

La pièce de résistance est composée d’une large section consacrée à The Wall. J’avoue être de moins en moins sensible à Another Brick In The Wall. En effet, le monde a évolué depuis l’époque traumatisante vécue par Roger Waters et il y a de plus en plus besoin de « teachers » et d’« education », ce qui n’enlève rien à la musicalité des morceaux.

PhilO incarne désormais Pink, la rock star sanglée dans une redingote de cuir noir. Elle est isolée du reste du monde par son mur intérieur, jusqu’au moment où elle se libère de ce fardeau le deuxième soir en se défaisant de son encombrant costume-armure. Nous voilà déjà arrivés à la première pièce de résistance et l’increvable Comfortably Numb.

C’est l’occasion pour les aficionados de se faire rincer les oreilles par « Francis Gilmour », qui assure seul l’ensemble des guitares acoustiques et électriques, ainsi que la lapsteel. Certains ferment les yeux, beaucoup miment une « air guitar ». On est de retour en 1980, le solo semble ne jamais finir, comme suspendu au plafond de l’EMS avant l’éjaculation sonore finale ( !). Pour le dernier morceau, l’emblématique Run Like Hell, PhilO invite le public à se mettre debout et frapper des mains. Il reste ainsi tout le temps du morceau pour une standing ovation de folie.

Like A Fly On The Wall

Assister aux balances est assez fascinant. Le groupe doit tester les voix, assurer le réglage de ses instruments – les guitares et la batterie sont assez capricieuses – caler le positionnement des lumières des projecteurs… La machinerie est complexe et hyper sensible. Ainsi, le deuxième soir, plusieurs « pains » sonores ont nécessité l’intervention discrète d’un technicien pour faire disparaître une espèce de larsen impromptu. « Le simple fait de déplacer une pédale d’effet par mégarde peut potentiellement débrancher une connexion et causer de gros soucis. Il faut analyser la problématique en un quart de seconde et trouver une solution immédiatement » me confie en aparté Janssy, le « guitar and drum tech » du groupe.

Un concert haut en couleur

Je note une grande complicité entre les musiciens. Il est vrai qu’ils jouent ensemble depuis 2016. Phil « Woodwind », le saxo, est le dernier arrivé au sein du groupe. Issu du jazz, il remplit à merveille le rôle qui incombait originellement à Dick Parry chez les Floyd. « J’ai écouté toutes les versions possibles pour coller au plus près à son style, tout en me permettant quelques digressions jazzy afin d’apporter un peu de swing » avoue-t-il.

De son côté, le claviériste Lionel Borée s’est focalisé sur les sons de Rick Wright : « J’ai analysé exclusivement les sons studio que j’ai empilé puis réassemblé sur mon équipement. Je fais tout avec un Jupiter 80 de chez Roland. Le Moog sub37 sert pour des basses. J’ai programmé tous les sons sur le Jupiter qui bénéficie de très grosses possibilités sonores et d’une énorme polyphonie. Les sons créés sont aussi joués par le clavier maître en dessous du Jupiter. En fonction des titres, les sons sont superposés, mais aussi splittés sur diverses parties des claviers, le tout modulé par des pédales d’expressions. Le Jupiter permet de refaire tous les sons qui à l’origine étaient faits avec des Moog, EMS et autre Solina, B3 and co mais il faut savoir programmer ». Tout ceci fait replonger avec délice les spectateurs dans ces sonorités « seventies », le clavier de Wright n’y étant pas étranger à l’époque.

En se promenant dans les coulisses, on découvre aussi une petite armée d’une dizaine de techniciens de l’ombre qui s’affairent pour monter une herse avec un gigantesque écran de 300 kilos équipé de lumières, le fameux « Mister Screen ». Yves Roux, un des machinistes, manipule de longues lanières pour hisser de lourds appareillages. Un de ses rêves est de publier des écrits sur la musique, les spectacles, la culture, un milieu dans lequel il évolue depuis 1984. JP, le directeur technique de l’EMS a été régisseur de Nino Ferrer – un caractère volcanique selon lui – et entame spontanément avec moi une discussion autour de son tribute Bowie. L’ambiance est détendue et sérieuse malgré l’enjeu des deux concerts consécutifs.

De la technique, mais aussi du feeling

Le profane non-musicien que je suis est très curieux de comprendre comment la musique floydienne s’assemble en live. Faut-il forcément disposer du même – et coûteux – matériel que les musiciens originaux ? « Si tu donnes une Black Strat à trois musiciens différents avec les mêmes réglages pour jouer le même morceau, ils te sortiront trois morceaux différents » m’explique Janssy. « Tout dépend des doigts, de l’attaque, mais surtout du feeling ». Le trentenaire – interviewé dans le premier volume de Pink Floyd en France – a voué très jeune son existence à la musique. Il a rencontré plusieurs fois le batteur Nick Mason, mais aussi David Gilmour et de nombreux musiciens gravitant dans leur entourage. Il est intarissable et surtout incollable sur les réglages des guitares et des batteries, qui sont calés exactement sur ceux de leurs propriétaires, car il a visionné des centaines d’heures de « live » (c’est aussi un maestro du montage vidéo).

Souvenirs, souvenirs

Panoplie de fan

Par ailleurs, le fan floydien a aussi besoin de rapporter des souvenirs du concert. Ainsi, le stand tenu par Catherine offre une myriade de goodies : petits cochons en peluche floqués « Echoes And More », des médiators, des mugs, des tee-shirts, il y en a pour tous les goûts ! Beaucoup de fans ont déjà vu ce tribute dans d’autres endroits de la région parisienne et sont venus spécialement en Seine-Saint-Denis les écouter de nouveau. Je m’installe derrière une table et dispose des exemplaires de Pink Floyd en France – les dernières briques. Les curieux viennent spontanément discuter à l’entracte.

Des fans au taquet

Une mère de famille demande timidement un autographe pour faire une surprise à son mari Fabrice, pressé de retrouver son siège après l’entracte. John, un anglais vivant en France depuis 35 ans, est enthousiaste. Dominique, fringant septuagénaire, porte un tee-shirt avec le visage sépia des cinq musiciens originaux et leurs signatures. Il a vu le groupe à Versailles en 88 – « La batterie qui est sur scène y était aussi » pensais-je – et en parle avec émotion. Après le concert, Vish and Seb, deux trentenaires, ont des étoiles dans les yeux et le sourire aux lèvres en feuilletant le bouquin. Ils arborent le même tee-shirt avec le visage de Gilmour. Tous deux ont assisté à un concert du guitariste au Royal Albert Hall de Londres la semaine passée et partagent leurs impressions avec moi : « Le lieu et la musique en ont fait un moment inoubliable ». « À des années-lumière de là, en 1968, le guitariste venait tout juste de remplacer Syd Barrett et jouait son tout premier concert payant à Lyon » rétorquai-je devant leurs yeux ébahis.

L’auteur vit pour de tels échanges avec son public. Celui de Pink Floyd devient le sien, le temps des 130 pages de Pink Floyd en France – Les dernières briques pendant lesquelles un lecteur s’isolera du reste du monde pour se délecter – j’espère – d’anecdotes de ses musiciens préférés. Les membres de tributes français interviewés – dont les Echoes and More – ont eux aussi évoqué leur passion dévorante. Tous avec une grande humilité, car ils n’ont pas l’outrecuidance de penser égaler leurs maîtres.

Shine On et back to the daily machine…

La setliste : Partie I – 1. Shine On You crazy Diamond 2. Learning To Fly 3. Astronomy Domine 4. High Hipes 5. Money 6. Us And Them 7. Any Color You Like 8. Brain Damage 9. Eclipse – entr’acte Partie II 1. One Of These Days 2. Time 3. Breathe Reprise 4. The Great Gig In The Sky 5. Wish You Were Here 6. In The Flesh 7. The Thin Ice 8. Another Brick… p. 1 9. The Happiest Days Of Our Lives 10. Another Brick p. 2 11. Another Brick p. 3 12. Goodbye Cruel World 13. Comfortably Numb 14. Run Like Hell.

 

Texte, photos et vidéos : Patrick Ducher

Un deuxième soir de folie

Extrait du concert :

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