Invité à présenter “Mercy on Me” dont l’édition française vient de sortir chez Casterman, le dessinateur berlinois Reinhard Kleist participait en compagnie de David Suissa et de Stéphane Balmino à un concert dessiné au théâtre de l’Odéon à Lyon dans le cadre du 14ème Lyon BD Festival. Kleist avait participé deux jours plus tôt au même exercice avec The Good Sons à Berlin, autour d’une soirée consacrée à Cash, Cave et d’autres chanteurs emblématiques de la culture rock.
La dernière fois que j’ai croisé Reinhard Kleist, il y a 4 ans pour la sortie de son excellent livre sur le boxeur Hertzko Haft, il m’avait confié d’une voix basse – comme un secret – que son prochain projet concernait le chanteur australien Nick Cave. Ô joie. ! Après le sépulcral Johnny Cash, auquel Kleist avait consacré une épaisse biographie dessinée, il allait s’attaquer à un autre de mes chanteurs préférés. Enfer et damnation, la tâche allait être lourde tant le bonhomme véhicule une image “dark”, un brin torturée, mais passionnante tant ses chansons sont évocatrices de personnages hauts en couleur. L’originalité de l’approche de Kleist résidait dans le fait qu’il n’a pas choisi le format de la biographie, mais il a plutôt produit un roman dessiné, en se focalisant sur les mythes et les personnages développés par Cave, le chanteur devenant lui-même l’élément narratif de sa propre légende.
Ce soir, l’appareillage minimal – une guitare sèche, une acoustique, un ordinateur et un clavier – place une attention particulière sur la voix. Celle de Stéphane Balmino est certes moins gutturale que celle de son modèle, mais elle permet d’éviter la caricature – ou la copie – et donc de réinventer quelques standards du demi-dieu goth. Le duo de musiciens n’a pas cherché du reste à déconstruire les chansons, mais plutôt à se les réapproprier subtilement. Le rythme du titre d’ouverture, le menaçant Tupelo, est lancinant. Les huit titres proposés en cette pluvieuse fin d’après-midi alterneront lenteur et hargne. Sur Fifteen feet of pure white snow, Kleist saupoudre le visage de Cave de confettis blancs. Sur Higgs Boson Blues, sa page s’enflamme, sans doute envoutée par l’esprit de Robert Johnson.
Les dessins de Kleist soutiennent efficacement le chant de Balmino et la figure de Cave surgit dans diverses situations
Le rendu sonore de Brother my cup is empty est moins enfiévré que l’original, la voix de Balmino ponctuant minutieusement chaque syllabe… “Brother, my cup is empty, And I haven’t got a penny, For to buy no more whiskey, I have to go home …” C’est tout un univers qui transpire à travers des quelques mots. Personnages en quête de rédemption, créatures damnées, meurtriers (Mercy Seat flamboyant). Sur Where wild roses grow, le tube originellement interprêté en duo avec l’icône pop Kylie Minogue, David Suissa laisse sa place à une choriste invitée pour l’occasion.
Pendant ce temps, Reinhard Kleist s’active derrière son pupitre. Ses dessins soutiennent efficacement le chant de Balmino et la figure de Cave surgit dans diverses situations : au volant d’une voiture avec le spectre du bluesman Robert Johnson, en détenu encadré par deux gardiens, dans une barque les yeux baignés de larmes… Après le concert, le dessinateur m’a confié en aparté qu’il avait eu préalablement connaissance de la setlist et avait ainsi pu se construire une trame visuelle préalable. Reste la magie du live, le “timing” serré imposant de trouver une mise en situation originale en moins de 5 minutes.
De la même voix basse que celle entendue il y a 4 ans, le dessinateur me confie cette fois-ci qu’il est en train de travailler sur un ouvrage consacré à un chanteur britannique ayant vécu quelques temps à Berlin à la fin des années 70. Ground control ? Major Tom est de retour !
Les titres : Tupelo, Fifteen feet of pure white snow, Brother my cup is empty, Weeping song, Higgs boson blues, Red right hand, Where the wild roses grow, Hallelujah, Mercy seat.
Reportage et photos de Patrick Ducher
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