Froids, les Lyonnais ? La recette d’un bon concert varie selon la sensibilité de chacun. Si on est ronchon, si on se sent bien, si les musiciens ont la banane et semblent heureux d’être là… C’est toute une atmosphère qui transpire jusqu’au stand de merch où la toujours avenante Sylvie accueille les spectateurs dès leur entrée. Taquinés par les musiciens du tribute savoyard qui osaient prétendre que le public marseillais rencontré quelques jours auparavant était plus chaud, les Gones ont répliqué en leur offrant pas moins de quatre standing ovations. « Ce n’est pas tous les soirs comme ça », me confia le guitariste-chanteur Bertrand Lefebvre après le show, en remballant ses flight cases. Une impression partagée par de nombreux fans, ravis de la prestation, alors que je dédicaçais mon livre Pink Floyd en France. « J’ai vu les Brits, les Australiens. Mais ils sont trop cliniques. Ce soir, ces gars ont su injecter leur propre personnalité ! ».
Une soirée high on emotion
Le tribute savoyard avait livré son premier show de leur tournée 2025 « High On Emotion » au Silo à Marseille le 7 février. « C’était OK, mais on a eu pas mal de pépins logistiques sur place » m’a avoué un roadie. D’autre part, Yves Rabillier, le valeureux bassiste, ayant été victime d’un grave accident à sa main gauche, le groupe a dû intégrer un nouveau venu, Antoine Judet. Yves était néanmoins bien présent à Marseille et Lyon. Hors de question pour lui de ne pas être sur scène avec ses potes. Il réussit même à gratouiller le début de Money de sa main valide et à participer aux réjouissances en faisant les chœurs. Je remarque que le batteur Yannick Mestrallet est encagé dans une espèce d’aquarium en plexiglas, appareillage nécessaire pour ne pas perturber les retours sur scène. Sans doute frustré de ne pas être au plus près du groupe, il se lancera dans un furieux solo à la toute fin de Run Like Hell, sous les vivats de l’assistance.
Le parterre de la Bourse du Travail est rempli. Avec le balcon central, j’évalue l’assistance à un petit millier de personnes. Pas mal pour un froid mardi soir dans une ville qui n’a pas vu plus de 5 heures de soleil depuis le début du mois. Le public est majoritairement composé de tempes grises, voire de crinières carrément blanches, mais il y a quelques jeunes gens de 20 ou 30 ans. Je discute avec Patrick, qui était ado au moment de la sortie de Dark Side. Il a conservé son 33 tours d’origine, qui ne craque même pas, tellement il en a pris soin. Jean-Paul a vu le groupe en 68, Jean-François a assisté aux deux concerts à Gerland en 1994… Discussions passionnantes avec des passionnés, auxquels j’apprends que Gilmour a livré ici son seul concert solo le 10 avril 1984 (Philippe Gonin et Rodolphe Barret m’ont même livré leurs souvenirs dans mon livre « Les dernières briques »). Il était alors âgé de 36 ans, et donc plus jeune que son fan le plus ardent ce soir sur scène, le guitariste-chanteur Bertrand Lefebvre. En ouverture, ce dernier explique que la première partie du concert sera consacrée à quelques incontournables (« Dieu sait qu’ils sont nombreux ! »), tandis que le groupe reprendra après l’entracte l’album « The Division Bell » dans son intégralité et dans l’ordre des morceaux. Pas de changement de setliste par rapport au concert de l’Arcadium d’Annecy il y a presque un an, donc.
Une ferveur communicative
Pourtant, l’ambiance allait être résolument différente. Est-ce le fait d’une salle plus compacte ? Mais le public semble plus en communion avec le groupe. Chaque solo est accueilli par des applaudissements respectueux, dès l’introduction de Shine On. Les musiciens fournissent aussi des anecdotes sur certains morceaux. Ainsi le saxo (également flûtiste et trompettiste) Richie Cundale raconte comment Clare Torry a improvisé génialement sur Great Gig en 1972 à Abbey Road, avant que le trio de choristes Marie, Noémie et Noémie ne se lancent dans des vocalises virtuoses qui déclenchèrent individuellement des salves d’applaudissements. J’ai également apprécié la version très agressive de Have A Cigar proposée par Renaud Laporte, qui se tortillait du haut de ses quasi deux mètres en éructant « By the way, which one’s Pink ? ».
Point d’effets flashy sur scène cependant. Les animations vidéo imaginées par Stéphane Terris ne détournent pas l’attention de la musique. Les lumières – fantastiques teintes de bleu, de rouge, de rose, d’orange – créent un cocon au sein duquel les musiciens se lovent. Bien sûr, il y a des moments de bravoure (Another Brick, Comfortably…), passages obligés de tout show floydien.
Ce qui était surprenant, par contre, c’était le traitement réservé aux morceaux de « The Division Bell ». J’ai eu le sentiment d’entendre un tout nouveau spectacle en comparaison de celui livré l’an passé en Savoie. Impression confirmée par plusieurs personnes avec lesquelles j’ai discuté au stand de merch. Cela s’est traduit par de micro-variations sur certains passages : un coup de flûte par-ci, quelques notes jazzy en mode piano acoustique, un coup de bugle par-là, une basse frettée enveloppante sur Poles Apart, de petites bidouilles électroniques… Bref, une accumulation de petits détails qui donnent la sensation d’assister à un show humain et non d’écouter des morceaux à la note près, que l’on peut retrouver de toute façon sur un CD., ou lors d’un concert des Australians.
Le rappel est stratosphérique : le public est resté quasiment debout tout le temps, dès les quatre premières notes de Wish You Were Here jusqu’au vrombissement de Run Like Hell, sans oublier l’arrangement très émouvant de Good Bye Blue Sky imaginé par Marie Joannon pour ses copines. Chapeau aux « gars de la technique », les lasers, les lumières, le retour scène pilotés notamment par Jean-Louis, Christian, Raph… Sans un backline au taquet, point de show ! Shine On !
La setliste : 1. Shine on you crady Diamond 1-5 2. Learning to fly 3. Have a cigar 4. Medley Dark Side (Us and them, Any colour you like, Brain Damage, Eclipse) 5. Great Gig in the sky 6. Another Brick 1-2-3 7. Comfortably numb) // 8. Cluster one 9. What do you want from me ? 10. Poles apart 11. Marooned 12. A great day for Freedom 13. Wearing the Inside out 14. Take it back 15. Coming back to life 16. Keep talking 17. Lost for words 18. High hopes 19. Wish you were here 20 Good bye blue sky 21; Run like hell.
La tête dans la lune et les étoiles
Interview de Tristan Cassou, guest des Best of Floyd.
Un échange avec le jeune guitariste de 17 ans maintenant. Il me semblait intéressant de faire le point avec lui après son concert au Vox, à St-Christoly-en-Blaye (33) en octobre 2023, devant plus de 200 personnes. C’était une première devant un public si large. Après, il y a eu l’Arcadium, fois dix en termes de spectateurs, en mars 2024. J’avais relaté cette première expérience en tant que guest des Best of Floyd sur le blog Cineartscene.
Patrick. L’aventure ne s’est pas arrêtée à la Savoie. Peux-tu raconter ce qui s’est passé après ?
Tristan. Les Best of Floyd m’ont rappelé, parce que ma participation leur avait plu, et elle avait aussi plu au public à l’époque. Donc, ils m’ont rappelé et ils m’ont dit « écoute, viens faire les deux dates avec nous, Marseille et Lyon ». Je n’ai pas refusé, évidemmentIl y avait une raison que ça soit Marseille et Lyon plutôt que d’autres lieux, comme Lille ou Bourg en novembre 2025. Je ne sais pas. Je ne pense pas que cela exclut d’autres dates. On ne sait pas encore. Mais oui, pour l’instant j’ai été invité à celles-là parce que c’était les plus accessibles et que c’était possible dans les temps.
P. Il fallait tenir compte des congés scolaires aussi ?
T. Même pas. Là, j’ai cours normalement, donc… (Olivier, le papa-poule, m’a soufflé lors du soundcheck « qu’en plus, le Titi avait de bonnes notes à l’école »).
P. Mesdames, messieurs les profs, si vous écoutez… (rires)
T. Voilà, donc on se relâche un peu sur les cours juste pour ça, mais bon, ça vaut le coup ! Mais donc oui, ils m’ont rappelé parce que ça leur a plu et voilà… Je pense que le premier tour à Marseille au Silo, ça leur a plu encore une fois, donc ils me font confiance.
P. Alors, il y a eu Marooned, que tu maîtrises sans soucis. Il y a même des micro-digressions.
T. Le changement, c’est que je fais maintenant Wearing The Inside Out, écrit par Richard Wright. Au début, cela devait être Lost For Words, mais je ne me sens pas à l’aise en acoustique. J’ai donc proposé de faire celle-ci parce que j’aime beaucoup l’émotion que met Gilmour dans ce solo. Donc j’ai proposé, ils ont accepté et c’est pour ça que je fais celle-là.
P. On est bien dans le cadre de « The Division Bell », donc et de la célébration des 30 ans de l’album.
T. Moi j’aime l’électrique, je joue de l’acoustique évidemment. Mais entre guillemets, je montre plus ce que je sais faire avec mes sons et ma guitare électrique. Ce qu’ils ont compris, et ils ont très gentiment accepté que je le fasse. Je me suis dit « autant demander, je n’ai rien à perdre. S’ils me disent non, ils me disent non. J’ai demandé et au final, c’est très bien passé ».
P. Au niveau des répètes, donc là, tu es venu de Bordeaux à Marseille, c’était vendredi dernier, le 7 février. Tu es retourné sur Bordeaux. Là tu reviens sur Lyon quatre jours plus tard. Au niveau fatigue, gestion du temps, comment ça se passe ?
T. Niveau fatigue, j’ai eu le temps de dormir, samedi, dimanche, pour me reposer. J’ai été lundi en cours, comme si de rien n’était, mais ça va. Niveau fatigue, je dors dans la voiture.
P. Merci papa (rires).
T. Bon, le bilan carbone n’est pas top. On n’a pas eu le choix, il n’y avait pas de train. Mais non, ça va. Ce soir, on aura peut-être un peu plus de fatigue qu’à Marseille. Mais une fois que ça va se lancer, ça va se lancer, il y aura la fatigue après, demain, je pense.
P. Au niveau préparation, est-ce que ça t’a demandé plus, pareil ?
T. En termes de préparation, j’ai révisé un petit peu chez moi. Marooned, je la connais déjà par cœur. Et c’est Wearing que j’ai découverte. Ça m’a pris, je pense, une bonne semaine pour que ça soit plutôt propre. Après, c’était propre au début, mais je n’étais pas satisfait, donc j’ai refait, j’ai refait. Mais en soi, ce n’était pas non plus une surcharge de travail énorme.
P. Outre la musique des Floyd, il n’y a pas eu que ça. Ceux qui te suivent ont découvert l’existence de ton groupe, Young Bridge. Est-ce que ça a un impact sur ta façon de jouer, sur ton environnement, sur ton appréhension de la scène ou pas plus que ça ?
T. Pas plus que ça. Young Bridge, j’arrive à distinguer les deux. C’est mon groupe de composition. Il y a toujours du Pink Floyd, forcément, dans mon jeu. Ça se ressent, même dans le son. Je n’y peux rien parce que c’est ce que j’aime et ça prend un peu de moi. Après, avec le temps, je vais peaufiner et je vais trouver mon truc à moi. Mais les Pink Floyd, c’est différent. L’un n’influe pas sur l’autre, donc ça ne change pas grand-chose pour l’instant.
P. Ça veut quand même dire que tu es passé d’un environnement bien cadré, où tu reproduisais une sonorité existante, à des créations pures. Je ne suis pas du tout musicien, mes questions sont peut-être bébètes, mais dans l’interprétation des nouveaux morceaux, est-ce que l’apprentissage des textes, la façon de ressentir les textes, la façon de jouer tes propres parties, c’est peut-être plus de boulot ? Parce que vous avez déjà joué sur scène, c’est ça ? Vous avez fait plusieurs petites scènes en comparaison ?
T. Oui, on a dû en faire une dizaine, je pense. C’est plus de boulot. Après, vu que c’est des compositions, qu’on compose tous ensemble, en général, les idées de base viennent de la guitare, soit de moi ou du batteur Louis, puisqu’on fait tous les deux de la gratte. Mais quand ça démarre de ma gratte, le morceau, je le connais au final, parce que c’est moi qui l’ai inventé, entre guillemets. Après, on a créé tous ensemble pour le truc final. Donc, niveau apprentissage, ça va. C’était plus pour l’EP. Là, pour l’EP, j’ai dû travailler mes solos, j’ai dû faire un truc un peu plus carré. En général, je suis toujours à l’improvisation. Là, je me suis dit : « on va essayer de faire quelque chose qui soit carré, propre, réfléchi ». Ça m’a pris quand même pas mal de temps. En deux semaines, je pense que j’avais un bon truc carré. J’étais satisfait de moi. On verra ce que ça donne sur l’EP et les retours.
P. Tu peux en dire un petit peu plus sur l’EP. J’ai vu que le crowdfunding était arrivé à son terme. L’EP va sortir assez rapidement, je crois ? Est-ce que tu peux dévoiler des choses où c’est encore un peu secret ?
T. Ce n’est pas tellement secret. Pour l’instant, on a enregistré l’instrumental. Il manque la voix de Leilou, ma sœur, ce week-end. D’ailleurs, ce dimanche, on enchaîne, on ne s’arrête pas ! Mais non, il n’y a pas de grand secret. On fait nos morceaux qu’on considère les plus accessibles et les mieux. C’est notamment nos premiers morceaux. Ceux qui connaissent un petit peu ce qu’on fait ne seront pas surpris du choix. Je pense que c’est globalement ce que les gens aiment, les chansons qui plaisent le plus à chaque fois.
P. Ce sera combien de morceaux ? Instrus ? voix ?
T. Cinq morceaux. Ils sont un peu décomposés. Il y a des moments instrumentaux, des moments avec de la voix. Donc, au final, un mix des deux. Mais il y a de la voix partout.
P. Et il me reste une dernière question. What’s next ? La promotion de l’EP, des concerts, le Best of Floyd qui continue ? Point de suspension ?
T. Best of Floyd, peut-être. On verra ça en novembre, dans les prochaines dates. Ensuite, ce mois de février, avec Young Bridge, je vais continuer l’aventure. On va faire des concerts. On commence en avril, peut-être le 22 mars, mais ce n’est pas encore sûr. Mais la date qui est sûre, c’est à l’auditorium de Lapoyade, le 19 avril. Donc, on va essayer de retravailler nos spectacles, essayer de proposer un bon show. Et on verra comment ça se passe l’année prochaine.
P. Je sais que tu es, je vais dire, polyinstrumentiste. C’est-à-dire que tu fais à la fois guitare, du chant, mais aussi, tu pilotes les lights ?
T. ne pilote pas les lights. Je fais un peu le son, vu qu’on n’a pas d’ingénieur son, on se débrouille comme on peut. Mon père, lui, a une tablette et gère la logistique pour appuyer sur les touches au bon moment. Le son, il y a Louis qui m’aide, le batteur. Moi, je fais la programmation des lumières en amont. Même avec Young bridge, il y a quand même un petit lightshow.
P. Vous débutez, mais c’est quand même assez professionnel.
T. Je pense qu’on a un bon son. On n’a jamais eu de remarques sur le son. Et je pense qu’on a de la bonne humeur. C’est vraiment un spectacle qui, à notre échelle, est, je pense, bien et peu commun. C’est ce qu’on nous a dit, en tout cas, dans notre région.
P. Et le public, tu as analysé, tu as constaté dans les petites salles ? Est-ce que c’est plutôt des jeunes, c’est mixte ?
T. C’est globalement plutôt des anciens. Mais des fois, il y a des jeunes aussi qui viennent écouter, qui sont globalement surpris. Mais on a de très bons avis de tout le monde. Donc c’est bon signe, je pense.
P. Oui, on pourrait imaginer, en étant caricatural, groupe de jeunes, donc public de jeunes. Alors qu’en fait, pas que ?
T. Surtout que les jeunes sortent moins pour aller voir un concert maintenant, surtout à notre petite échelle. Ceci dit, on a fait un festival de lycéens qui s’appelle le Nouveau Festival au Roche de Palmer. Là, du coup, il n’y avait que des jeunes, que des lycéens. Et là, tout le monde a kiffé, quoi. Après, c’est différent, c’est un festival. Les gens viennent parce qu’ils aiment la musique, etc. Donc, il faut prendre ça avec des pincettes. Mais globalement, on a eu de bons avis de tout le monde.
P. Il y a toujours un truc qui me fait plaisir, c’est que je constate que tu gardes toujours la tête sur les épaules. Tu as un environnement familial qui aide aussi beaucoup. Avec le recul par rapport au Vox il y a un an et demi, comment tu juges le parcours, l’évolution, la progression ?
T. En réalité, après avoir fait l’Arcadium à Annecy, pendant deux jours, on est un peu sur les nuages. Mais après, ça redescend très vite. Et au final, je ne suis pas devenu une star ou quoi (rires). Donc oui, garder la tête sur les épaules, pour l’instant, ce n’est pas compliqué. Ça me paraît logique. Après, oui, j’évolue petit à petit. C’est sympa de voir que ça continue dans le bon sens pour l’instant. Donc oui, c’est bien. Il y a une évolution depuis le Vox. Avec ce soir notamment.
P. Dernière question. Est-ce que tu te projettes ? Tu m’as dit qu’il y avait le bac qui arrivait. Est-ce que tu te projettes après ? Est-ce que tu sais déjà un peu quelle voie tu veux suivre ?
T. Je ne sais pas trop. J’aime bien la technique. J’aime la musique, c’est mon plan B. J’aime le son. Ça, j’aime beaucoup. Mais il faut savoir si je fais une école ou si je me laisse une année ou si je me mets à fond dans la musique. C’est le choix qui est difficile parce qu’on ne sait pas si ça craindra. Il faut que je me mette dans une école. C’est un peu le dilemme. Soit je vais dans une école d’ingénieur son, par exemple, soit je travaille un peu à côté et je fais ma musique à côté.
Reportage, interview, photos et vidéos : Patrick Ducher
Larges extraits du concert :


