Les Puppets, tribute français de Depeche Mode basé à Lyon, repassaient dans la petite salle du Rock’n’Eat le samedi 9 novembre à Lyon où je les avais déjà vus l’an passé (en décembre 2023, cf. live report). Stéphane, un de leurs claviéristes, m’a proposé de les interviewer à cette occasion. L’idée de humer l’ambiance préconcert me tentant, RV fut pris après les balances, en fin d’après-midi. Reportage de Patrick Ducher.

Nous rentrons dans le vif du sujet dès mon arrivée. Jean-Philippe m’invite immédiatement à découvrir ses appareillages, se lançant dans des explications techniques de configuration, de timing, de fichiers MIDI. C’est là où je découvre que ce que je croyais être à l’époque (back in the 80s) des sons « genre Bontempi » sont en fait très sophistiqués. Jean-Philippe dispose d’une base de données peaufinée au fil des ans (« de quoi jouer largement plus de la moitié du répertoire des Depeche. Ce soir, une trentaine de titres sont prévus, même si l’ordi contient l’équivalent de sons pour plus de 50 morceaux, sans compter les morceaux que nous avons faits quand nous avions un batteur, et sans compter les faces B »). Les évolutions technologiques permettent en effet de reproduire très finement des bribes vintage parfois imperceptibles – tel un sample de Fleetwood Mac – ceci étant le fruit de recherches pointues, de multiples échanges sur les forums. Sur scène, les rôles sont clairement définis. Jean-Philippe est le « monsieur technique », Stéphane, le claviériste en titre, Lillian alterne basse – son instrument fétiche – et guitare et Cyril fait le (puppets) show au chant. Papotons avec cette bande de potes qui jouent ensemble depuis plus de vingt ans…

Les Puppets, tribute français de Depeche en concert à Lyon, le 9 novembre 2024

Une chose m’intrigue souvent quand j’interviewe des tributes, qu’ils soient amateurs ou semi-pros : vos professions respectives ont-elles un lien avec la musique que vous proposez ?

Lilian : « Je suis prof, mais pas musicien, ni professionnel, ni de formation. Nous faisons de la musique depuis que nous avons 15-16 ans au lycée. Cela a toujours été une passion pour laquelle nous avons beaucoup bossé, mais ce n’était pas notre métier. Puppets n’est pas un métier, on ne peut pas gagner assez d’argent pour que cela soit viable .»

Cyril : « La musique m’a amené à ma profession. Nous nous connaissons pour certains même depuis l’âge de douze ans. Pour faire vivre notre musique, il faut faire un peu de marketing, de communication, il faut des pochettes. J’ai donc commencé par ça, à faire des pochettes pour des copains. J’ai fini par faire une formation qui m’a fait entrer dans un parcours professionnel où, maintenant, je suis expert en marketing et com. C’est vrai que c’est grâce à la musique .»

Jean-Philippe : « La musique a toujours été mon cheminement pour le professionnel. Je n’ai jamais exercé de travail qui n’ait pas de rapport avec la culture. Ça a toujours été un but. J’ai travaillé dans une grande enseigne en tant que disquaire. Après, j’ai monté mon entreprise parce que je fais de la musique de publicité. Actuellement, je suis professeur de musique en collège ».

Stéphane : « Je viens du monde de l’entreprise et j’ai travaillé comme rédacteur, mais ça a commencé à devenir difficile de joindre les deux bouts avec seulement la musique, surtout au moment du Covid. Mais je considère plutôt, comme Jean-Phi, que ma vraie profession, c’est la musique. Parfois, je suis obligé de faire d’autres choses, mais c’est pour pouvoir choisir la musique que je fais et ne pas devoir faire des DJ sets jusqu’à 4 heures du matin, des bals, des choses comme ça. »

Quelles sont vos Influences musicales respectives ? Est-ce qu’il y a une porosité entre vos genres de prédilection et Puppets ?)

S. : « DM est une influence commune à nous quatre. À un moment, le groupe a travaillé avec un batteur qui venait du rap. Au départ, avec Jean-Phi, nous faisions du rock industriel. Quand tu es arrivé au Rock’n’Eat tout à l’heure, il y avait d’ailleurs Joy Division. Personnellement, j’aime bien tout ce qui est cold wave, le gothique, l’industriel allemand genre Einstürzende Neubauten qui a été une grosse influence, surtout ce qu’ils faisaient dans les années 80, quand ils détournaient des choses qui n’étaient pas destinées à être des instruments, comme des plaques de métal. Cela m’a toujours intéressé, tout comme chez Dépêche aussi, où il y a des périodes où ils utilisaient beaucoup de sampling, toute la période Some Great Reward». [Jean-Phi fait remarquer qu’ils ont partagé le même producteur, Gareth Jones, et enregistré dans le même studio berlinois, ajoutant que DM a même utilisé des sons de Neubauten sur Some Great Reward (1984) et Construction Time Again (1983)]. Je suis aussi très influencé par tout ce qui est musique de film de manière générale, ce qui se ressent peut-être plus dans ce que je compose par ailleurs. »

C. : « Il se trouve que j’ai grandi dans les années 80, avec deux grands frères, dont un qui était au collège avec Stéphane, et c’est grâce à Stéphane que j’ai connu DM. J’ai grandi dans un univers un peu new wave. C’était Alphaville, DM, Cure, Culture Club, c’était très vaste. Puis j’ai évolué vers des groupes un peu plus rock comme Placebo ou Muse, qui ont été vraiment des références importantes. Pink Floyd en fait partie aussi. J’ai appris à aimer tous les styles de musique. Chaque fois que nous allions répéter, c’est Stéph qui avait la voiture. Il me mettait du Maiden, il me disait « Il faut que tu écoutes ça ! » et effectivement, ça m’a ouvert un peu les chakras. Ensuite avec Bowie, Led Zep et Queen, parce que Queen a été déterminant. Mercury est un p*** de chanteur, un performeur de ouf ! »

J-P. : « Je dois tout à mon père qui adorait la musique. Il a tout de suite écouté pas mal de choses et m’a emmené en concert. Il a écouté DM avant moi. Mon premier concert, c’est Pink Floyd. Je suis enfant, je n’en ai aucun souvenir, car mon père est parti voir la tournée Animals (aux Abattoirs de la Villette en février 1977 NDR). Je suis dans la salle avec lui et je suis très jeune, car je suis né en 1973. Mon père est fan des Who, des Pink Floyd, de choses comme ça. Quand il me fait écouter pour la première fois Animals enfant, c’est un truc bizarre et ça va rester une Madeleine de Proust, mon album préféré des Floyd, maintenant. J’ai habité dans un village que je déteste où tout le monde écoutait du Top 50. Mon père me ramène sur la musique alternative. Et je vais commencer sur des trucs étonnants, comme les Bérus. Un jour, en 1986, il me ramène une revue d’Angleterre consacrée à DM car il venait de les voir à Nottingham. C’est lui qui m’a acheté mon premier album, Black Celebration. Ensuite, il va faire tous les concerts de DM avec moi. Quand j’arrive à Villeurbanne, je découvre de nouveaux amis qui ont des tonnes de goûts musicaux différents. Je vais rentrer dans le monde industriel, aussi bien du côté allemand que du côté américain. Je vais devenir vendeur en musiques de film. Avec Steph, on va vraiment se créer une culture. Même si on se retrouve sur DM, nous avons énormément de goûts différents à côté, ce qui est plutôt bien, parce que c’est l’intérêt de ne pas faire un groupe seul, c’est d’avoir d’autres goûts. »

L. : « Mon premier vrai concert, c’était Dépêche Mode, quand j’avais 12 ans, la tournée de Music For The Masses. Ma grande sœur m’a fait découvrir ça. Après, j’ai découvert le métal, le rock, etc. Avec Cyril, nous avons fondé un groupe de rock pendant plusieurs années. On a beaucoup fait de rock avec un batteur. J’aime vraiment beaucoup de choses, de la musique de film, des trucs hyper violents en métal, du jazz, du classique, du moment que c’est de la bonne musique. »

À la guitare, surtout sur du DM, ce doit être dur d’être « bon au bon moment », car même si les riffs sont simples, il faut les placer dans le bon timing.

L. : « Ce sont des mélodies. À part sur Personal Jesus qui est un riff blues, quand Gore fait des mélodies, sur Behind The Wheel, par exemple, c’est une mélodie. Donc, effectivement, il ne faut pas se planter. Tu ne peux rien mettre à côté. Sur un jeu de guitare normale, c’est une approche vraiment différente. Switcher basse et guitare n’est pas un souci. La basse est mon instrument de prédilection. C’est vraiment ce qui m’avait accroché. J’avais découvert, entre autres, Steve Harris de Maiden. C’est vrai qu’il y avait un côté vraiment rock’n’roll. Comme nous avons joué avec un batteur avant, la basse s’imposait naturellement. À la guitare, je suis Monsieur Boulangerie parce que je fais beaucoup de pains (rires). »

J-P. : « Quand Lilian se retrouve avec son instrument, il joue vraiment de son instrument. Moi, par exemple, si j’appuie sur ne touche et que je fais une fausse note, il n’y a pas de notes. Ça limite les risques. Ce n’est pas le cas pour Lilian. Steph, au clavier, il ne peut pas supprimer les notes qu’il joue. »

S. : « Des fois, nous avons un jeu qui n’est pas du tout naturel. Là où, avec le clavier, j’aurais l’habitude de jouer un truc avec les aigus en haut et les graves en bas, il y aura une logique différente avec certains sons. Ce sont d’autres choses à mémoriser. »

En fait, vous autres, les claviéristes, vous n’êtes pas interchangeables.

J-P. : « C’est très compliqué. Cyril, de temps en temps, vient jouer sur nos claviers. Il peut jouer les mélodies parce qu’on lui a indiqué où elles étaient. »

Comment se manifeste individuellement votre passion pour DM : est-ce que vous assistez à plusieurs concerts sur une tournée ? souffrez-vous de collectionnite aigüe de bootlegs ou de magazines ?

J-P. : « Je ne vais pas courir pour avoir un morceau du tee-shirt de Dave, ni un morceau de sa serviette avec sa sueur. On s’en tape grave. La collection de vinyles d’Alan Wilder a été vendue, mais on s’en tape. Il a vendu ses claviers, mais réellement, ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c’est de récupérer les sons. »

S. : « Des fois, on a X versions de tel morceau parce que, quand on veut reproduire des sons, on veut entendre des choses. Et des fois, dans un bootleg, il y a un truc que les gens n’écoutent pas. Ainsi, moi, j’adore écouter les soundchecks. C’est des trucs où ils font des tests. Tu entends des sons, tu les repères, et tu te dis que tu vas pouvoir le récupérer. »

Deux victimes de la mode

J-P. : « Les claviers de l’époque, les possibilités de sampling étaient très limitées. Et nous, nous avons grandi avec ces machines, qui ont été émulées depuis longtemps. »

S. : « Les bootlegs de bonne qualité m’intéressent. La première fois que j’ai vu DM, c’était en 1985. J’ai donc envie d’avoir un exemplaire de chaque tournée, le mieux enregistré possible. Mais je ne vais pas collectionner toutes les dates, y compris l’enregistrement le plus pourri. Mais il existe quelques plantages, quand les bandes s’enrayent. »

C. : « Moi, je ne suis pas collectionneur plus que la normale. Comme tout fan, au début, tu veux en savoir toujours plus sur tes artistes favoris. Mais moi, c’est juste le chant. J’ai appris à chanter sur Dahan et Gore. Sinon, j’aime bien les faces B pour rentrer dans l’univers du groupe aussi, aller chercher les trucs rares, mais pas forcément les bootlegs. »

On va se rapprocher de la scène. Comment s’élabore la setliste ? Est-ce qu’elle est fixe ? Est-ce que vous l’adaptez selon le public, le lieu ? Est-ce qu’il y a un bloc fixe d’incontournables ? Est-ce que ça se décide aux voix ? À titre perso, une chanson que vous ne pouvez plus entendre ?

J-P. : « On fait certains morceaux une ou deux fois, car ça nous a plu de les faire. Par exemple, quand ils ont sorti Where’s the Revolution ou Ghosts Again. Mais on ne peut pas dire que ce soit ceux qui nous fassent tripper. Il y a peu de chance qu’ils reviennent. »

C. : « C’est une question intéressante parce que tu touches à la genèse même de Puppets. Ce qui fait que Puppets s’est créé et pourquoi nous avons voulu, ensemble, faire un tribute DM. Je pense que c’est vraiment une spécificité qui nous différencie des autres tributs. La base de Puppets, c’est le plaisir. Celui de jouer des morceaux que nous aimerions entendre en concert ou des morceaux qui nous ont fait tripper. Quasiment pendant 20 ans, depuis 2001, date à laquelle nous avons démarré, jusqu’à 2020, l’objectif était de jouer les morceaux qu’on voulait jouer, nous. Pendant des années, nous n’avons pas cherché non plus à percer, à faire le tour de la France, etc. C’est finalement récemment que nous avons pris conscience qu’il y avait un potentiel, que nous pouvions aussi trouver un autre plaisir. Et du coup, nous avons changé d’approche au niveau du set en allant vers quelque chose d’un peu plus performant, plus mainstream. »

Un public chaud bouillant et attentif pendant près de trois heures

Au Cherrydon (Bouches-du-Rhône) le 25 octobre dernier, l’accroche du programmateur, c’était « Venez écouter tous les hits de DM ».

L. : « Pour notre première date là-bas, nous avions fait une setlist qui, pour lui, n’allait pas trop. Et nous avons beaucoup recentré en misant sur l’efficacité de meilleures chansons. Nous répondions à un besoin. Après, ici, on se fait plaisir parce qu’on est à la maison. Ça fait des années qu’on joue à Lyon et qu’à chaque fois, on fait le plein de salles de 300 personnes. Donc, les gens nous connaissent depuis longtemps. Ils savent ce que ça donne. À chaque fois, ce sont de vrais fans. Ils connaissent la moindre des faces B. Du coup, c’est vraiment une autre approche. Une première date, c’est compliqué quand les gens ne te connaissent pas. »

J-P. : « C’est vrai que selon les salles, il faut faire attention. On s’est planté plusieurs fois. À Marseille, on s’est planté parce que ceux qui sont venus nous voir ne connaissaient que les singles les plus connus de Depeche. Je pense que c’est la seule fois, à Marseille, où Cyril s’est tourné vers moi et m’a dit de ne pas faire Waiting For The Night parce qu’on ne touchait pas le public. D’un seul coup, on a compris qu’il fallait qu’on passe directement à du tube, du méga tube. »

C. : « C’est palpable, car le public, c’est une énergie. Quand ça ne prend pas, tu le sens tout de suite. Mais il ne faut pas généraliser, car à Rennes, ça a été un truc de malade ! Marseille, c’était un peu spécial. Ils ont la réputation d’un public un peu froid qui ne donne pas sa confiance facilement. C’est ce que nous avait dit le programmeur, qui nous avait conseillé de ne faire que des tubes. Nous, têtus comme des mules et vu que cela fait 20 ans qu’on joue du Depeche, on a voulu n’en faire qu’à notre tête. Au final, il avait raison. Maintenant, nous sommes en train de construire une vraie fanbase sur Marseille après avoir rectifié le tir. »

J-P. : « Au Rock’n’Eat, par exemple, on a le record du nombre de pizzas vendues ! (rires). »

Est-ce que la taille de la salle, la réverbération, la forme de la scène a une influence sur votre jeu ?

J-P. : « La première fois qu’on a fait un concert sans pression, c’était au Ninkasi Gerland ancienne version, la salle de concert principale. »

C. : « Nous sommes à l’époque le premier tribute de Depeche en 2001. Nous avions l’appui de la maison de disques. Bref, on nous programme, mais le programmateur n’y a pas trop cru et la veille, il met 2-3 de ses barmans en off ce soir-là parce que, de toute façon, ça allait être une petite soirée. Or, il y a eu plus de 600 personnes. À la fin, il nous a dit : « Vous avez cassé la baraque, j’ai dû rappeler tout mon staff, je ne m’y attendais pas. »

J-P. : « Cyril, je pense, aimerait bien choisir les salles aussi en fonction de sa voix, mais on ne les choisit pas en fonction de ça, on les choisit aussi en fonction de qui veut nous programmer. »

C. : « Je vais te parler de confort quand tu es sur scène. Effectivement, ce que la salle te rend en fait en termes de son, ce que le public va te renvoyer également, c’est hyper variable. Au Sonic par exemple, je n’ai pas eu un souvenir impérissable du son, mais ce qu’on aime au Sonic, c’est le côté underground, prog un peu décalée etc, mais mon meilleur souvenir, paradoxalement, serait plus au Hard Rock Café, parce que là, il y a quand même une salle pensée pour les concerts, avec un son qui renvoie bien et un public que tu vois bien, qui est condensé, et donc il y a une vraie osmose qui se crée. Au Rock’n’Eat, ce que j’adore c’est quand les murs commencent à suer, à transpirer. Ça fait 30 ans que je fais de la musique, j’ai quelques centaines de concerts. Sur les tributs j’ai toujours essayé d’être sobre. J’ai même porté un tee-shirt « Je ne suis pas Dave Gahan ». Nous l’affirmons et l’assumons pleinement. Si les gens veulent venir voir un sosie, qu’ils aillent ailleurs. L’idée, c’est d’offrir aux gens un moment agréable. Pour moi, c’est le public du tribute qui est la star, c’est eux qui doivent passer un bon moment et nous devons être un vecteur de leur passion ».

Regardez-vous ce que font vos collègues français ou étrangers ?

J-P. : « Il n’y a pas un tribute qui a notre son. Quand je vois un mec qui se prend pour Dave Gahan sur scène, je trouve ça limite malaisant et je me sens presque gêné. Mais je n’ai rien contre et s’ils veulent le faire comme ça, qu’ils le fassent ! Si on prend un tribute Pink Floyd, il n’y a pas besoin d’une grosse personnalité devant. Je prends du plaisir à ce type de concert parce que je ne reverrai plus jamais le groupe originel. Sinon, ça me ferait bizarre de voir un type grimé comme Gilmour, je n’en vois pas l’intérêt. »

C. : « Paradoxalement, à la fin des concerts, quand les gens viennent nous voir, c’est pour nous dire « On a passé un bon moment parce que vous ne vous prenez pas pour Depeche Mode. »

J-P. : « Réellement, nous ne le faisons pas aussi pour la simple et bonne raison que les tributs cherchent à reproduire des sons de Depeche qui en fait n’évoluent pas d’un concert à l’autre, donc je n’ai pas besoin d’aller écouter un autre tribute pour savoir ce qu’ils ont fait de ce son. Je ne me compare pas vraiment à eux, je ne me trouve pas sur le même monde et si je tombe sur des choses, je change très vite. »

Connaissez-vous bien votre fanbase ? C’est un truc qui m’avait interloqué aussi, quand je vous avais vu la fois précédente. J’étais juste devant pour voir les interactions, pour valider une première impression que je pouvais avoir, et j’ai regardé derrière moi, le visage des gens, les tee-shirts, les frocs, les shoes. Est-ce que vous êtes sensibles à ça ?

S. : « Il n’y a que Cyril qui les voit. Derrière, on ne voit rien, mis à part les 2-3 premiers rangs. »

C. : « J’aborde ces concerts-là comme n’importe quel concert de mon groupe de compo, c’est-à-dire que mon souci à moi, c’est de donner l’énergie, de donner l’engagement, la justesse, parce que, quand tu fais un tribute, on t’attend quand même aussi sur la qualité de ta prestation, mais finalement les gens s’habillent comme ils veulent, ce n’est pas le critère que je vais retenir. »

S. : « L’évolution du public à Marseille, par exemple, on l’a ressentie tous sur scène. »

C. : « Je vois deux profils. Il y a effectivement la personne est restée bloquée sur sa passion musicale, donc un peu gothique, un peu new wave, où ça se sent sur ses habits. Et puis il y a ceux qui se sont embourgeoisés entretemps, et eux, effectivement, sont plus habillés classe, le père de famille nostalgique. »

J-P. : « Et il y a ceux qui sont encore dedans, donc pour eux, ce n’est pas de la nostalgie, c’est encore de la passion de malade. Il y a ceux qui, à un moment donné, ont pris de la distance et qui ont vu les Puppets, qui ont pris une bonne claque en règle générale, et qui reviennent nous voir. Il y a par exemple Franck, de Cannes, qui a fait tous nos concerts depuis 2020, absolument tous, même à Rennes. Il traverse la France à chaque fois pour nous voir. »

L. : « Ce que Cyril est super vrai. Ce qui est important, c’est la soirée elle-même, c’est-à-dire que ce n’est pas nous, c’est que les gens aient la banane. J’ai toujours des frissons sur certains morceaux, même après les avoir joués 45 000 fois. C’est pour ça qu’on y met beaucoup de cœur et que ça marche. »

J-P. : « Une partie du public ne vient pas regarder un concert de Depeche ici. Ils viennent s’amuser, parce qu’il y a des morceaux qu’ils ont entendus 5 000 fois. Ils sont comme nous, ils en ont un peu marre de les entendre, mais pourtant ce soir, quand ils les entendent, ils vont s’amuser, ils vont les chanter. Je suis le premier à monter sur scène, et je sens la première ambiance, très rapidement, au bout d’une minute, Cyril va suivre, et moi, je sais déjà si Cyril va devoir galérer, aller chercher plus ou pas. Après, Cyril fait super bien le job de front. Automatiquement, il va aller les chercher, et ce n’est pas toujours facile, car ça dépend quel premier morceau, comment on va l’introduire. »

Un petit point « Fashion » pour finir : est-ce qu’il y a eu une progression vestimentaire sur scène depuis 2001 ?

S. : « Je portais déjà un perfecto au début. Sinon, j’aime bien mon tee-shirt Commodore 64, avec un design d’ordi des années 80. »

J-P. : « Moi, je ne me pose pas la question « je mets mon tee-shirt Longue route ou mon tee-shirt Longue route ? (rires)  ».

C. : « C’est là où mon métier me rattrape, comme je suis un peu dans le market et la com’, c’est aussi l’apparence. Si tu veux faire un peu rêver les gens, même si tu n’as pas envie de te prendre pour Gahan, il faut quand même présenter une homogénéité sur scène, travailler un petit peu son style et, comme tu travailles ton jeu de scène, il y a des trucs qui sont en récurrence sur chaque morceau. Donc, il y a une réflexion effectivement sur la forme, et le Cyril version 2024 est une version plus réussie qu’il y a 20 ans (rires). » Quant à Lillian, il arborera ce soir un tee-shirt Music For The Masses sous une veste en jean noir.

DM dans la peau

Nous terminons un échange dense de plus d’une heure en dressant leur « personal best/worst ». Pour Jean-Philippe, c’est In Your Room / A Photograph Of You. Pour Cyril : In Your Room / People Are Good. Pour Lilian : Never let me down / Boys Say Go et Stéphane Stripped / A Photograph Of You. Il est temps de les laisser se restaurer d’un délicieux hachis parmentier. Chacun a son petit rituel. Stéphane va discuter avec le public ou fumer une clope. Cyril reste dans sa bulle. Jean-Philippe me présente le fameux Franck (voir la photo ci-dessus), sanglé dans un perfecto Depeche Mode et vêtu d’un tee-shirt « Mute », la maison de disques historique de DM. Il est resté bloqué en 1993, date du départ du groupe d’Alan Wilder, le « sorcier des sons ». Les morceaux produits par la suite ne l’intéressent pas. Mais quand il est « dedans », il explose littéralement : moulinets de bras, sauts de cabri, hurlements. Il est vrai que son crâne luisant au sommet duquel trône une petite houppette ont de quoi impressionner. Charmant, mais passionné. C’est en outre un grand collectionneur de vinyles.

Les Puppets ne vivent pas individuellement par et pour Depeche Mode. Stéphane – sous le nom de Marx Kaleid en duo avec la chanteuse Alasterlle – vient de signer avec le prestigieux label allemand Danse Macabre Records qui va mixer l’album Polar Licht. Cyril de son côté mène depuis 2013 Station Echo qui sort son premier album What Should Have Been But Never Will en 2025 dont le single Mess Around est à découvrir ici.

Post-scriptum. Il est 20 heures et quelques. Le public s’amasse lentement dans le caveau. Toutes les tranches d’âges sont représentées : l’enfant de 10 ans à peine dans un tee-shirt Playing The Angel (qui aura son moment de gloire en montant sur scène pour mouliner des bras), des générations Z, des quadras, quinquas et un peu plus, du tatoué, de la pin-up courte vêtue. Une dame devant le chanteur filme le concert en live avec son smartphone. L’ambiance est peut-être encore plus chaleureuse que l’an passé, beaucoup ont vu le groupe sur la dernière tournée en date, Memento Mori, certains plusieurs fois. Je suis frappé par la ferveur qui émane de la salle. Et ça reprendre les refrains en chœur, et ça trépigne, et ça rugit de plaisir en entendant tel ou tel son. Mêmes sur les titres plus obscurs, ça ne mollit pas. Sur scène, les quatre copains sont tout sourire, manifestement très complices. Ils jouent à domicile et savent faire plaisir à leur public. 30 titres, presque 3 heures de Puppets show non-stop. Sur Never Let Me Down, les bras se dressent tels des épis de maïs battus par les vents. Cyril exhorte le public à chanter, à hurler. Les murs du Rock’n’Eat suintent jusqu’au final. We just couldn’t get enough !

Texte, photos et vidéos : Patrick Ducher

La setliste : 1. Higher Love 2. Policy of Truth 3. World In My Eyes 4. Walking In My Shoes 5. Behind The Wheel 6. People Are People 7. Strangelove 8. Fly On The Windscreen 9. Personal Jesus 10. Never Let Me Go 11. A Question Of Lust 12. Home 13. Rush 14. I Feel You 15. Everything Counts 16. Shake The Disease 17. A Pain That I’m Used To 18. In Your Room 19. Lie To Me 20. Get The Balance Right 21. Stripped 22. Blasphemous Rumours 23. Master and Servant 24. Photographic 25. Enjoy The Silence Rappels : 26. But Not Tonight 27. A Question Of Time 28. Never Let Me Down Again 29. Just Can’t Get Enough 30. Boys Say Go.

 

Extrait du concert :

Pin It on Pinterest

Share This