La Suède est un pays fertile, entre autres, en tennismen au jeu métronomique, en footballeurs arrogants, en réalisateurs minimalistes ou en écrivains de thrillers sanglants. On se demande bien comment le pays d’origine de Abba a pu enfanter Bror Gunnar Jansson, un prodige trentenaire du blues dont la voix ferait se retourner Screamin’ Jay Hawkins dans sa tombe. Le 18 novembre dernier, la minuscule salle lyonnaise du Périscope était pleine à craquer pour écouter le natif de Göteborg seul en scène, simplement accompagné d’une grosse caisse et d’une caisse claire de batterie, ainsi que d’un appareillage savamment disposé autour d’un tabouret. Ses deux guitares ressemblent à des jouets pour enfants. Pourtant, il va en faire sortir des sons… démoniaques.

Gunnar Jansson a entamé au printemps dernier une tournée d’une douzaine de dates en France. Il est revenu cet automne dans l’hexagone pour jouer dans de petites salles – avec quand même le Café de la danse à Paris et L’aéronef de Lille – toutes quasi complètes.

Derrière son look de commis-voyageur sorti tout droit des années cinquante – cravate, gilet, pantalon droit à fines rayures très classe – Gunnar dépote. Il commence par se déchausser de ses souliers vernis avant de tranquillement s’installer pour un set qui durera près de 1 heure 45. Le son est âpre, sec et rude. La voix est nerveuse, déformée par un micro trafiqué. Au passage, gratitude à l’ami digger Xavier Clarke de me l’avoir fait découvert il y a près de trois ans dans son émission “Pulp” sur Radio Entre Deux Mers. Quelle ne fut donc pas ma surprise de redécouvrir la gueule d’ange du bluesman suédois en septembre passé dans l’émission grand public “C à vous” sur France 5 !

Les guitares jouets rappellent parfois ZZ Top, John Lee Hooker ou Muddy Waters, bref des classiques dont Gunnar est un héritier dévoué.

Le public est très mixte au Périscope : quinquagénaires alertes, génération Y et quadras certainement auditeurs de Fip Radio, rockeurs bardés de cuir. Point commun : tous dodelinent de la tête sur les accords du “Bror” (Brother) suédois. Certains ferment les yeux. Les guitares jouets rappellent parfois ZZ Top, John Lee Hooker ou Muddy Waters, bref des classiques dont Gunnar est un héritier dévoué. Il a quant à lui un petit truc bien à lui, une capacité à jouer des ballades toutes simples, sans doute les plus poignantes du set car dénuées d’artifices électroniques. Surtout lorsqu’il se lance dans un chant a capella (“While I fight the tears” est à … pleurer) ou qu’il sort un ukulélé “pas cher et acheté à Paris”.

Le label français Normandeep a eu le nez creux en dénichant cette pépite et en produisant son premier album, le somptueux “Moan Snake Moan”, encensé à l’époque par la presse spécialisée en 2014. Il est dans la lignée d’un certain revival en matière de “hard blues” aux côtés des belges de The Summer Rebellion, de l’allemand Reverend Beat-Man, du yankee CR Avery, tous de lointains petits filleuls de Nick Cave ou de Tom Waits, voire de Led Zeppelin et de Ry Cooder.

Le successeur de “Moan …”, le double CD “And the great Unknown” sorti en 2017, est du même calibre avec en prime, quelques notes d’orgue, de trompette et de batterie bien senties. Histoires de rédemptions, de baptême près d’une rivière, de “preacher” solitaire confronté au diable… Enfin, on l’imagine du moins. Et on se dit que cette musique serait une parfaite bande sonore pour un prochain film de Jim Jarmush.

En première partie au Périscope, le tout jeune Yannick Owen avait charmé l’auditoire par sa maîtrise de la guitare sèche et son folk aérien. Une prestation de grande qualité – notamment le titre “Johnny’s temper” – qui laisse augurer d’un EP (à venir en décembre) à ranger à côté de Joni Mitchell et de Donovan.

Photos (C) Patrick Ducher et P. Désormière

 

Plus d’infos :

  • Le passage de Boror Gunnar Jansson sur France 5 dans l’émission “C à vous” (12.09.2017): http://bit.ly/2zfnYBP
  • Un extrait de “Ain’t no grave” durant le concert au Périscope : http://bit.ly/2zUvter
  • Le EP en crowdfunding de Yannick Owen : http://bit.ly/2yXcL4A

 

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