Pour le 7ème concert de la tournée européenne du Memento Mori Tour, les Depeche Mode étaient au Groupama Stadium de Lyon. Concert particulier, car, à quelques jours près, il marquait le premier anniversaire de la disparition leur claviériste, Andy « Fletch » Fletcher.

Depeche Mode - au Groupama Stadium de Lyon - 31 mai 2023

 

Qu’attendre du désormais duo, toujours accompagné du batteur Christian Eigner et du claviériste Peter Gordeno ? Comment allaient rendre les chansons du très sépulcral dernier album en « live » ? Autant de questions que se posaient peut-être les quelques 45 à 50.000 spectateurs sous une chaleur de plomb.

La veille et le jour même du concert, des fans avaient repéré par hasard Martin Gore se baladant tranquillement rue de la Ré et à Saint-Jean. Dans l’enceinte du stade, ce mercredi soir, on sentait une grande ferveur (ainsi que des odeurs de frites frémissantes). Des fans de tous âges se côtoient. On devine l’âge à l’état de leurs tee-shirts.

 

Une sono problématique dans les gradins

 

Le secret pour apprécier un concert en stade ? Certainement être dans la fosse, au plus proche de la scène quand c’est financièrement et physiquement possible. Cela évite de subir par moments une bouillie sonore comme celle endurée lors de la première partie, les Young Fathers, dont les martèlements industriels et tribaux auraient pu séduire dans une autre configuration.

À 21 heures tapantes, Martin Gore fait son entrée sous les bravos de la foule, suivi de ses compères. Le chanteur Dave Gahan arrive à la fin, comme à son habitude.

On est frappé par le (trop) gros son d’entrée, sur un morceau atmosphérique comme My Cosmos Is Mine extrait du dernier album. La setlist est parfaitement calibrée, avec une lente montée en puissance et plusieurs moments forts, dont le premier fut sans doute Walking In My Shoes (1993). Quelques fines gouttes de pluie commencent à tomber, histoire de rafraîchir les spectateurs sur la pelouse, mais cela ne dure pas.

 

Depeche Mode : de la pop, avec un fond sombre

 

 

Depeche Mode a le chic pour proposer de petites ritournelles pop en apparence charmantes, mais qui cachent souvent des réalités sombres. Par exemple, sur It’s No Good, Gahan murmure : « Don’t say you want me, Don’t say you need me, Don’t say you love me, It’s understood”. Ou encore sur In Your Room, qui décrivait, sous la plume du parolier et guitariste Martin Gore, l’état d’isolement et de décrépitude du chanteur pendant ses années de perdition (« In your room, Where souls disappear, Only you exist here, Will you lead me to your armchair ? »).

Du reste, il est assez extraordinaire que le duo, dont chaque membre fondateur dépasse désormais la soixantaine, ait pu survivre à toutes les turpitudes des années 90. Si Gahan ne se dépoitraille plus sur scène, il conserve une belle prestance lorsqu’il esquisse des déhanchements sensuels ou quand il se lance dans des tournoiements dignes d’un derviche tourneur, cintré dans un gilet sombre. Il déambule sur scène avec grâce, tel un patineur sur la glace.

Point de surprise pour qui les suit depuis des années. Le show dure pile deux heures et propose un best-of de certains des plus gros succès du groupe. Citons notamment Everything Counts (1983) – pendant laquelle Gahan est sous une pluie battante, en train de pointer son micro pour faire chanter la foule – ou le très émouvant Precious (2005) (Things get damaged, things get broken, I thought we’d manage, but words left unspoken, Left us so brittle, There was so little left to give).

 

Un hommage touchant à “Fletch”

 

Sur World In My Eyes, le stade s’illumine de milliers de lampes de smartphones comme autant de briquets modernes – pour rendre hommage à « Fletch » tandis que des photos du claviériste et véritable ciment du groupe, sont projetées sur les écrans géants. La jeunesse des traits, à travers le noir et blanc des photos d’Anton Corbijn, est particulièrement saisissante. De nombreux fans portaient des tee-shirts faits main pour l’occasion. Certains agitaient des morceaux de tissu blanc.

Chaque concert à son « moment Gore » qui commence avec un Question of Lust illuminé de lumières de smartphones. Dommage que Soul To Me ait été légèrement terni par quelques imbéciles qui sifflent, sans doute parce que les écrans géants étaient éteints à cet instant. Quoi qu’il en soit, la ferveur reste intacte, dès Ghosts Again, le premier tube de Memento Mori qui montre Gahan et Gore déambulant dans les rues de New York puis jouant aux échecs. Encore une chansonnette dont la rythmique masque l’émotion, la tristesse, la perte (« A place to hide the tears that you cried, Everybody says goodbye, Faith is sleeping, Lovers in the end, Whisper we’ll be ghosts again”), autant de thèmes prégnants dans l’œuvre des Depeche Mode.

 

Memento Mojito : paroles de fans

 

 

Qu’est-ce qui fédère une fonctionnaire du service public, une arboricultrice, un employé de la grande distribution, un éduc spé, une assistante de direction, des tatouées de Saint-Etienne, une danseuse etc. ? La passion pour Depeche Mode of course ! Lors d’un « Meet-up », j’ai pu constater l’enthousiasme de ces divers profils. A titre personnel, je n’avais pas écouté leur musique depuis… 30 ans.

A la fin de l’adolescence, j’étais plutôt chanson française et hard-rock. Les groupes de « coiffeurs » (DM, Spandau Ballet, Human League, Culture Club…) étaient l’apanage des filles. Et puis, en 2017, je tombe par hasard sur Where’s The Revolution. Flashback et je visionne tous les DVD du groupe deux mois avant le concert lyonnais. Quelle claque ! La musicalité, l’atmosphère, l’apparente simplicité des tubes m’ont fait replonger dans la fin de mon adolescence et redécouvrir un groupe qui fait encore vibrer les foules 40 ans plus tard !

 

Des tubes à la pelle

 

Les tubes s’égrènent dans le dernier tiers du concert et les spectateurs reprennent les paroles à tue-tête. Le riff de Enjoy The Silence est accueilli par une clameur enthousiaste et le refrain est scandé par plusieurs dizaines de milliers de personnes (« All I ever wanted, All I ever needed, Is here in my arms, Words are very unnecessary »).

En rappel, les plus anciens se trémoussent comme des possédés sur le tout premier tube du groupe, l’inaltérable  Just Can’t Get Enough (1981 !), écrit à l’époque par Vince Clark qui est parti juste après. Il paraît que les chansons qui ont marqué l’adolescence ne s’oublient jamais et restent toute la vie dans la cervelle. Parfois enfouies, elles se révèlent, et révèlent des personnalités. L’espace de quelques minutes, on oublie la noirceur du monde et on redevient un( e) teenager insouciant (e). L’apothéose est pour la fin : sur Never Let Me Down, c’est tout le stade qui est debout. Gahan exhorte que les bras se lèvent. Un mot, un geste de sa part et tout le stade réagit au quart de tour. Mais c’est le cas depuis près de 40 ans… Explosion avec le 24éme et dernier titre, clin d’œil à Elvis Presley (ou plutôt sa femme, Priscilla) : Personal Jesus et son riff de guitare imparable.

Le nombre d’idoles de jeunesse des quinquas-sexas diminue à vue d’œil. Celles qui sont encore capables de nous émouvoir, de nous faire danser, de susciter de la ferveur se font rares. Il faut en savourer chaque instant, comme lorsque Gore et Gahan se retrouve tous les deux sur l’avancée de la scène sur Waiting For The Night. Enjoy the sound.

Setlist Groupama Stadium, Lyon (France) : 1. My Cosmos Is Mine 2. Wagging Tongue 3. Walking in My Shoes 4. It’s No Good 5. Sister of Night 6. In Your Room 7. Everything Counts 8. Precious 10. Speak to Me 11. A Question of Lust 12. Soul With Me 13. Ghosts Again 14. I Feel You 15. A Pain That I’m Used To 16. World in My Eyes 17. Wrong 18. Stripped 19. John the Revelator 20. Enjoy the Silence 21. Waiting for the Night 22. Just Can’t Get Enough 23. Never Let Me Down Again 24. Personal Jesus

Texte, photos et vidéo : Patrick Ducher

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