Un reportage de notre envoyé spécial Patrick Ducher
“C’EST UNE CHALEUR ÉCRASANTE QUI ACCUEILLE LES 7.500 SPECTATEURS VENUS ÉCOUTER DEUX LÉGENDES DU JAZZ, DEUX ÉPOQUES DIFFÉRENTES. RHODA SCOTT, L’ORGANISTE AUX PIEDS NUS, TOUJOURS ALERTE ET MALICIEUSE, FÊTA CE SOIR SES 80 PRINTEMPS. LE PUBLIC LUI A RÉSERVÉ UNE STANDING OVATION. MARCUS MILLER, LE BASSISTE DE FEU MILES DAVIS VENAIT QUANT À LUI PRÉSENTER SON TOUT NOUVEL ALBUM, LAID BLACK, SORTI CHEZ BLUE NOTE.
Rhoda Scott est accompagné de Bernard Purdie – 79 piges au compteur et tout aussi vif qu’elle – le légendaire batteur de James Brown, d’Aretha Franklin et tant d’autres vedettes du monde du jazz, du rock (Steely Dan) et du blues (BB King), pour 4 titres en début de set. Les morceaux, avouons-le, sonnent un peu plan-plan (Que je t’aime de Johnny Hallyday en guise d’hommage au défunt rockeur frenchie ?). Mention spéciale cependant à un moment faisant penser au Pink Floyd psychédélique des grandes années durant lequel Rhoda posa ses coudes sur les touches de son clavier pour en tirer de longues notes “cosmiques” digne de Rick Wright. Bien plus passionnante fut la seconde partie durant laquelle l’organiste originaire du New Jersey accueillit son “Lady Quartet” accompagné de sa “mascotte” masculine, le trompettiste Julien Alour. Le jazz se fit plus tourbillonant et enlevé grâce aux diverses compositions de ces dames. Signalons notamment le fantastique morceau de bravoure de la sax altiste Géraldine Laurent – un mix de Maceo Parker pour le swing et de Sonny Rollins pour le coffre – sur Escapade qui fit se lever tout le théâtre antique.
Sur le très funky I want to move my body de Sophie Alour au sax tenor, un coup de vent dépose la partition sur les mains de l’octogénaire qui, tellement concentrée, continue de jouer comme si de rien n’était. Sophie Alour repose délicalement les feuilles sur le pupitre de l’orgue Hammond, Rhoda restant imperturbable. Chaque membre du quintet a l’occasion de se mettre en valeur. Le combo a enregistré un disque en 2017 – We Free Queens – et on sent une réelle complicité. Moment très touchant quand Bernard Purdie revint sur scène pour le morceau final – une reprise endiablée du What I’d say de Ray Charles – partageant le drumming avec Julie Saury, ainsi qu’un gigantesque “hug” qui ravit tous les spectateurs. Rhoda Scott avait raconté au public que cela faisait plusieurs années qu’elle voulait jouer avec lui, mais qu’il n’était jamais libre. Standing ovation et voilà que Marcus Miller en personne vient sur scène pour offrir un gros gâteau d’anniversaire à la “Barefoot Lady”, alors que 7.500 personnes entonnent un “Happy Birthday” mémorable.
Marcus Miller : un set sec et nerveux à l’image de Laid Black, disque-hommage aux musiques noires.
C’est en habitué de la région – il a même joué avec l’Orchestre National de Lyon en 2015 – que le roi du “bass slapping” entre sur scène sous les vivas, accompagné d’un groupe resserré composé de Brett Williams aux claviers, Russell Gunn à la trompette, (l’excellentissime) Alex Gan au sax et Alex Bailey à la batterie. Pas de guitariste sur cette tournée donc et cela a un peu manqué. Le set fut sec et nerveux à l’image de Laid Black, disque-hommage aux musiques noires. Durant de longues plages (parfois plus de 10 minutes), Miller montre qu’il n’a rien perdu de sa virtuosité, quitte à ne plus surprendre. Il troque son habituelle Fender pour une basse 5 cordes, ce qui qui rompit un peu le rythme du concert. Le duo de souffleurs disparaissait épisodiquement entre chaque intervention pour laisser le roi Marcus seul en compagnie du claviériste et du batteur. Comme lors de sa précédente tournée Afrodeezia il y a déjà trois ans, Marcus Miller se livre à une reprise funky de Papa was a rolling stone des Temptations, avec ce fameux riff à 7 notes imparables. 5 titres du dernier album furent présentés : Trip Trap, Untamed (et son riff de piano élecrique entétant), Someone to love, Bunny’s dream et le très émouvant Preacher’s kid, en hommage à son père disparu trois mois auparavant. Marcus – qui s’exprime comme à son habitude dans un français quasi-impeccable – troqua sa basse pour une clarinette et le public l’écouta avec recueillement. Par la suite, il revisita le tube Tutu concocté pour Miles Davis dans les années 80, en mode hyper-speed – ça, ce fut une belle nouveauté ! – pour conclure en rappel avec Blast, dont tout le monde fredonna l’air. Déjà minuit passé. Certains spectateurs avaient déserté le théâtre antique pour se presser d’attraper la dernière navette vers la capitale de Gaules. Il faisait chaud à Vienne, mais il n’a pas plu.
Le Lady Quartet : Rhoda Scott (orgue Hammond), accompagnée de Julie Alour (sax), Géraldine Laurent (sax), Julie Saury (batterie) et Lisa Cat-Barro (sax) + Julien Alour (trompette) et Bernard Purdie (batterie). Marcus Miller Band : Marcus Miller (basse, clarinette basse), Brett Williams (claviers), Russell Gunn (trompette), Alex Gan (sax) et Alex Bailey (batterie). (le visuel de la bannière est une création du dessinateur Brüno).
Photos et reportage de Patrick DUCHER
Un extrait du concert :