Les 15 et 15 septembre se tenait à Randan (Puy-de-Dôme), le 16e salon du livre et de la chanson, La Chanson des Livres. Il y avait du beau monde. Et Patrick Ducher y était. Reportage.
En festivals, lors d’une fête aux livres, l’artiste se retrouve souvent face à une cohorte d’admirateurs marmonnant malhabilement leur admiration. On ne devrait jamais parler à ses idoles. Parfois on est déçu. Parfois, l’idole est fatiguée de répéter les mêmes propos. Les admirateurs croient connaître l’idole mais ne savent que ce qu’une certaine presse véhicule. L’artiste donne beaucoup de sa personne. Alors, il faut trouver comment la captiver. La 16ème édition du Salon La Chanson des Livres accueillait à Randan, en Auvergne, Anne Sylvestre, Nilda Fernandez, la parolière Vline Buggy (auteure de plus de 50 chansons pour Claude François) mais aussi Richard Gotainer, Emma Daumas (Star Academy) et plusieurs experts de la chanson française. Et puis Corinne Marienneau, la bassiste du groupe-phare des années 80, Téléphone.
Anne Sylvestre et sa chanson « J’ai une maison pleine de fenêtres » a bercé de nombreuses nuits du gamin de 4 ans que j’étais et de son frère quelques années plus tard. « Je suis l’un de vos nombreux enfants en quelque sorte », lui dis-je, ce qui la fit sourire. Le grand public et les journalistes ne lui parlent souvent que de ses fameuses « fabulettes » – que, volontairement, elle n’interprête plus sur scène – mais elle a évolué avec ses auditeurs au fil des ans. Il faut réécouter au hasard « Les gens qui doutent ». Anne Sylvestre, c’est surtout 60 ans de chansons (plus de longévité que les Rolling Stones !) , une personnalité « engagée » – qui refuse pourtant cette étiquette – qui aborde des thèmes à forte portée sociale tels que le viol, l’avortement, les sans-abris… Contrairement à son camarade de cour d’école Henris Dès, elle n’a jamais cherché à « moderniser » ses chansons en leur donnant par exemple une texture « rock ». « Le texte avant tout ! » s’exclame-t-elle.
Richard Gotainer est quant à lui bien plus subtil que l’étiquette de « chanteur rigolo » – ou fils spirituel de Henri Salvador et de Boby Lapointe, il y aurait pire – qu’on lui accole. On se souvient de ses jingles et pubs accrocheuses (« C’est frais, c’est aux fruits, c’est Banga »), de ses chansons entraînantes et délirantes (Le youki, Le sampa, Infinitif, Le mambo du décalco et tant d’autres) alors que rock français se prenait de plus en plus (trop) au sérieux. L’ado sensible avait remarqué les courbes rebondies de la jolie fermière dans la pub pour le fromage « Belle des champs ». Il était aussi intrigué par des paroles dont il comprit bien des années plus tard le côté subversif : « Qu’il est blanc, qu’il est crémeux ton fromage, Dis, donne-nous-en un peu, Belle des champs ». Déjà, il y avait la rythmique des mots, très étudiée, un peu comme une scansion – il opine du chef lorsque je mentionne ce terme – et il me confie que lorsqu’il s’est relu, il s’est dit que jamais cele ne passerait. Et pourtant… Le sous-texte érotique est passé totalement au-dessus de la tête des personnes lui ayant passé commande. C’est un peu son « Annie aime les sucettes à l’anis ». Personnage attachant, il revendique une admiration pour Brassens. Son humour et sa bonne humeur manquent à l’époque actuelle.
Corine Marienneau a longtemps porté sur ses frèles épaules le fardeau que représentait le fait d’être une nana dans un groupe de rock au tout début des années 80. Avec le chanteur Jean-Louis Aubert, le guitariste Louis Bertignac et le batteur Richard Kolinka, elle a vécu les galères et la gloire avec le groupe Téléphone. « On a souvent essuyé des glaviots, des jets de canettes de bières. C’était souvent moi qui gueulait pour tenter de calmer les choses ». Elle avait déjà vécu ça avec Shakin’ Street, puis observé les spectateurs durant le festival punk-rock mythique de Mont-de-Marsan vers 77-78… En 1982, je rendis visite à mon correspondant anglais près de Birmingham. J’avais amené en guise de cadeau LE disque qui cartonnait en France, l’album « Dure limite » dont le tube « Ca c’est vraiment toi » a marqué toute une époque de teenagers et jeunes adultes. Pour la petite histoire, elle me glisse que l’album avait été supervisé par Bob Ezrin, mythique producteur de Alice Cooper, Lou Reed, Aerosmith, Peter Gabriel… et que 4 ans plus tard, Téléphone faisait la première partie des Rolling Stones. Le reste, les dessous pas forcément roses du monde du rock de ces années-là, la fin du groupe, bref la suite, Corine la raconte dans le premier volet poignant de son autobiographie « Le fil du temps ».
Le stéphanois Pascal Pacaly écrit sur le rock en France. Né en même temps que le punk (1977) « La France est rock » selon le titre de son plus récent essai. Dans ses nombreuses publications, il cherche à démontrer qu’il y a eu un électrochoc à la fin des années 70 et que de nombreux groupes – pas forcément connus mais pleins d’énergie comme Les Ogres de Barback, Eiffel, Babylon Circus, Les Sales Majestés – cherchent à faire perdurer une certaine attitude, une philosophie de vie, une certaine idée de la liberté. Pascal a monté Les éditions du Joyeux Pendu – clin d’oeil à François Villon ? – pour promouvoir écrivains et artistes (musiciens, photographes, peintres, graphistes) de toutes générations et pays. La démarche est courageuse. Mais au fond, les trois artistes pré-citées n’ont-elles pas su survivre aux modes, à un groupe adulé, et à des étiquettes réductrice. Une question d’attitude …
Patrick DUCHER