Cineartscene est heureux de vous proposer une nouvelle rubrique, réalisée en partenariat avec la Librairie-Boutique des Marais, Chapitre 2. Chaque mois, Mohamed Biskri, libraire et acteur dynamique de la vie culturelle caladoise, nous fera part – en alternance – de ses coups de cœurs personnels, et des coups de cœurs des lecteurs recueillis pendant les « Troc-lectures », moment d’échanges et de partages conviviaux. Ce mois, pour commencer, deux coups de cœur pour le prix d’un : tout d’abord Celle que vous croyez de Camille Laurens, et dès la semaine prochaine, Titus n’aimait pas Bérénice de Nathalie Azoulai

Celle que vous croyez de Camille Laurens – Gallimard

Camille Laurens - Celle que vous croyezUne femme, Claire, 48 ans, blonde, maître de conférences en littérature et récemment divorcée, ne veut pas mourir au désir. Pour surveiller Jo, son amant qui vient de la quitter, elle crée un faux profil Facebook. Elle devient Claire, 24 ans, brune, célibataire, passionnée de photographie. Et peu à peu se laisse prendre au jeu, bascule dans le virtuel, dans tout ce que cette fausse identité lui offre de liberté, de passion, de vie nouvelle. Elle voulait épier Jo, elle aime Chris, son ami, jusqu’à la dépression et la folie.

Celle que vous croyez est le récit d’une descente aux enfers de deux ans et demi, entre confession entravée et réponses à un psy, le docteur Marc B., entre Contes des mille et une nuits et intrigue à la Marivaux, quand l’amour ne peut se dire et se vivre que dans des identités mouvantes, au risque du tragique.

Mais ce n’est pas « qu’une » histoire d’amour terrible et dévastatrice. C’est une réflexion, amère, sur la place laissée aux femmes dans un monde dominé par les hommes, menée par une femme « défunte, au sens strict », « défaite de ses fonctions » : « plus de place je n’ai plus de place » ne cesse de dire cette Claire au prénom faussement transparent, « ironique ». Les femmes n’existent que sous le regard cruel des hommes, ce regard qui efface et nie dès que le désir disparaît, dès que l’âge vient, que le corps n’est plus celui fait pour l’amour.

Hymne à la puissance de création de l’écriture

Celle que vous croyez  est un roman du désir, un marivaudage tragique et surtout un hymne à la puissance de création de l’écriture, au jeu de dupes et de miroirs qu’elle permet. Camille Laurens juxtapose plusieurs versions de la même histoire, celle de Claire à son psy, celle du psy, Marc, qui lui aussi aura à se justifier…

Où est le vrai dans ce palais des glaces ? Où est la part du réel et celle de l’invention dans ce récit dédié à la mémoire de Nelly Arcan et tout entier tissé de citations et réminiscences de textes d’Antonin Artaud à Joan Didion, en passant par Michel Leiris, et, nécessairement, Les Liaisons dangereuses ? Camille Laurens, dans une vraie/fausse lettre, un « brouillon de lettre » à son éditeur, Louis O., justifie la part de réel de son livre, ce feuilleté de discours, qui est « dans l’angle ouvert des possibles ». Qui est Celle que vous croyez ? Celle à laquelle renvoie directement le titre sur la page de couverture du roman, soit Camille Laurens ? Claire Millecam (Camille en verlan) ? Claire Antunès ? Aucune n’est pleinement celle que vous croyez, ou pourriez vouloir croire, et toutes ne sont-elles pas les multiples facettes d’une même femme ?

Si l’autofiction nous irrite souvent, on est tombée sous le charme de Celle que vous croyez. Certes, ce neuvième roman de Camille Laurens cultive à nouveau un égotisme appuyé, avec trop de clins d’œil faciles à Lacan; certes, il ressasse ses thèmes de prédilection – l’amour impossible (je-te-suis-tu-me-fuis-je-te-fuis-tu-me-suis), écrire pour s’en libérer, le désir plutôt que le sexe, l’insupportable domination masculine, l’infâme condition féminine, etc. Mais il les revisite dans une veine contemporaine captivante, suivant un scénario qui croise plusieurs points de vue, où les acteurs sont aussi manipulés que le lecteur.

Fascinée par le sentiment amoureux, l’auteur de Dans ces bras-là, excelle à le disséquer à l’ère du 2.0. Avec autant d’humour que d’érudition, de lucidité que de révolte. Mais Celle que vous croyez n’est pas forcément le roman que vous croyez…

Mohamed Biskri

 

 

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