Le Possible(s) Quartet présentait au Bémol 5 de Lyon son tout nouvel album intitulé “Songs from Bowie”. Oeuvre de commande émanant du RhinoJazz(s) Festival et de son directeur artistique Daniel Yvinec, plusieurs morceaux avaient été joués pendant l’édition 2017 dans le cadre d’une série de concerts baptisés “We could be heroes”. Il s’agissait cependant ce soir de la première fois où le quartet de souffleurs défendait son oeuvre fixée officiellement sur CD. Petite pression comme le confiait en aparté avant le concert le clarinettiste Laurent Vichard, même si les musiciens ont bien rôdé ce répertoire-là puisqu’ils en étaient à leur 4ème prestation.
Reportage de Patrick Ducher
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les artistes n’ont pas choisi la voie de la facilité : loin de faire un banal copié-collé des chansons originales, celles-ci ont été réarrangées à la sauce du Possible(s) Quartet. Louis-Julien Nicolaou de Télérama ne s’y est pas trompé, lui qui a accordé 4 croches à l’album en écrivant “Le jazz a ses petites recettes pour accomplir des miracles. Et voilà un quartette de cuivres et bois qui accomplit l’inattendu et réussit à détacher ses compositions de l’immense interprète camélon pour les resituer ailleurs, autrement, dans leur vérité nue”.
Le spectateur – ou l’auditeur – qui s’attendait à une énième version bien propre de “Let’s Dance” ou de “Heroes” a dû être décu. Et de là où il se trouve, DB doit bien se marrer, lui qui avait précisément employé un combo de jazz – mené par le magnifique sax Donny McCaslin – pour l’accompagner sur “Blackstar”, son ultime opus bouclé peu de temps avant sa mort en 2016. Certes, on reconnaît en pointant l’oreille le “riff” – le motif majeur de chaque morceau – qui surgit comme par magie au milieu d’une nappe sonore ouatée, comme sur “Space Oddity”. Mais si une bonne moitié des morceaux joués sur scène – et sur le CD – contient des tubes certifiés (citons “Ashes to ashes”, “Heroes”, “Life on mars” ou encore “The man who sold the world”), l’auditeur découvre avec ravissement des titres un peu oubliés comme le méconnu “Dead man walking” ou “This is not America,” qui transpire d’une sourde mélancolie lorsque Fred Roudet entame son solo .
Louis-Julien Nicolaou de Télérama ne s’y est pas trompé, lui qui a accordé 4 croches à l’album
Rémi Gaudillat – sur un arrangement de Laurent Vichard – ralentit au maximum le tempo de “The man who the world” ce qui donne une toute autre dimension à ce titre mythique, avec une interprétation qui convoque l’esprit de l’autre Bowie, le jazzman Lester et son fameux Brass Fantasy, un ensemble qui s’était fait une spécialité de revisiter les grands tubes pop en mode jazzy. D’ailleurs, Lester avait joué avec David sur l’album “Black tie, white noise” (1992). Quant à Gaudillat et Bachevillier, ils ont longtemps soufflé dans un brass band appellé … Docteur Lester. La boucle (jazz) est donc bouclée !
Idem pour “Where are we now,” le très nostalgique premier single issu de “The next day”, l’avant-dernier disque (2013), de Bowie dans lequel il évoquait son séjour berlinois des années 76-78. On croirait l’entendre psalmodier “Sitting in the Dschungel, on Nürnberger Straße, a man lost in time, near KaDeWe, just walking the dead…”
Certes on retrouve le Bowie sarcastique sur “I’m afraid of Americans” – qui ne figure malheureusement pas sur le CD – et Vichard donne une petite tonalité malicieuse à “Little Wonder” en faisant sautiller les notes de sa clarinette basse mais, dans l’ensemble, c’est bien à une réppropriation que s’est livré le Possible(s) Quartet, sous l’égide précieuse de Daniel Yvinec. “De temps en temps il nous disait 3, 4 phrases et ça nous recadrait complètement. En vrai directeur musical, il sait comment tirer le meilleur des musiciens qui sont là” reconnaissait Laurent Vichard sur le site de FIP. Les souffleurs ont également reconnu le côté décalé et génial de certains arrangements du génie de la pop tel “Absolute beginners”.
En guise de rappel de ce concert divisé en deux parties d’une grosse trentaine de minutes chacune, un morceau un brin iconoclaste par son titre – “Chassez le naturel, il revient au tango” – puis les musiciens reçoivent les applaudissements nourris d’un public de connaisseurs jazzophiles. Une seconde soirée était prévue au Bémol 5 le samedi 9 février.
Le Possible(s) Quartet – Loïc Bachevillier : trombone ; Rémi Gaudillat : trompette, bugle, Fred Roudet : trompette, bugle ; Laurent Vichard : clarinettes. Le quartet a déjà produit deux disques – “Orchestique” (2015) et “Le Chant Des Possibles” (2013).
Le site duPossible(s) Quartet
Un extrait du concert comprenant “Ashes to ashes”, “This is not America”, et “The man who sold the world” :