Comment parler d’un mythe ? D’un groupe qui a fait les couvertures de tous les magazines rock des années 70. D’un groupe par lequel est passée la fine fleur des musiciens de studios de l’hexagone. D’un groupe fondé en 1969 et qui continue d’exister en dépit d’une industrie musicale moribonde. D’un groupe qui draine un public de fidèles passionnés (600 personnes au Transbordeur de Lyon ce 11 mars).
Pour le scribe, tout commence par un souvenir. Celui d’avoir découvert Magma aux alentours de 16 ans, en lisant le guide Akai jazz pop rock piqué à son père. En pleine phase de découverte du rock progressif, il s’est demandé ce que pouvait bien donner un groupe mené par un batteur-chanteur qui avait inventé une langue étrange – le kobaïen – pour communiquer avec son public. Les groupes qui évoluaient dans ce registre – le Genesis de Peter Gabriel par exemple – jouaient des morceaux de 10, 15, 20 minutes !
Magma, ce n’est pas vraiment du jazz – même si son mentor Christian Vander revendique depuis toujours l’inspiration de John Coltrane – et pas vraiment du rock – même si le groupe a enregistré son chef d’œuvre Mekanik Destruktiw Kommandoh dans les mêmes studios que Mike Oldfield – mais un peu des deux. Et on y ajoute des chœurs proches du gospel, de la soul, voire des chants grégoriens.
Ce type de musique ne se fait plus, ne se produit plus, ne s’écoute plus comme dans les années 70 qui ont fait la gloire de Magma et contribué à son aura (ils ont même fait une apparition dans le film de Jean Yanne Moi y’en a vouloir des sous en 1972, si, si !). Pourtant, cette musique perdure depuis… 48 ans ! Après la gloire des années 70, le groupe a été un peu en retrait de la fin des années 80 jusqu’au début des années 2000. Certes si le public du Transbo était majoritairement composé de sexagénaires mâles, j’ai été très surpris de découvrir des jeunes issus des générations Y/Z plus mélangées – sans doute le fruit des récents passages du groupe dans des festivals d’été orientés “métal” ? La salle était pleine comme un œuf. Applaudissements à tout rompre pour accueillir le mythe et sa troupe, toute de noir vêtue. La soirée sera dense : seulement 4 morceaux mais une intensité et un rythme de folie.
Introduction avec la trilogie Emehnteht-Re : c’est parti pour près d’une demi-heure de musique non-stop. Le bassiste Philippe Bussonet semble être le relais de Vander sur scène. Il gère les tempos avec constance et minutie. Les nouveaux musiciens sont discrets : le guitariste Rudy Blas et le pianiste Jérôme Martineau-Ricotti seront néanmoins impeccablement précis. La lave en fusion monte petit à petit. Les vocalises de Stella Vander, Isabelle Feuillebois et Hervé Aknin semblent comme suspendues dans l’air.
Christian Vander se contorsionne derrière ses fûts, ses mimiques donnent l’impression qu’il est en train de recevoir des électrochocs. A un moment, il empoigne un micro, remise des baguettes et passe au chant. Tantôt puissant, tantôt strident, il ponctue certains passages de furieux coups de poings sur ses cymbales.
La scène est éclairée d’une lumière blanche uniforme aveuglante pour les musiciens. Stella demandera à l’éclairagiste un peu de chaleur – et des lumières bleues, vertes et rouges viendront finalement habiller le groupe. Christian Vander se contorsionne derrière ses fûts, ses mimiques donnent l’impression qu’il est en train de recevoir des électrochocs. À un moment, il empoigne un micro, remise des baguettes et passe au chant, tantôt puissant, tantôt strident. Il ponctue certains passages de furieux coups de poings sur ses cymbales.
On sent le groupe soudé, concentré, heureux de jouer. Sur le second morceau, Theusz Hamtaahk, les voix portent littéralement la rythmique et sonnent comme des instruments percussifs. Le vibraphoniste Benoit Alziary saute tel un lutin derrière son équipement, tandis que le jeune claviériste à bonnet a l’œil rivé sur son maestro.
Un cri lancé par Hervé Aknin annonce le “tube” Kobaïa. La musique de Magma est une mécanique bien huilée. Elle se mérite. C’est une épreuve physique pour les musiciens ET le public. Il est impossible de rester indifférent. Les roulements de tambours sont secs et nerveux.
Christian Vander a 69 ans, mais l’âge ne fait rien à l’affaire. Il a inventé un courant musical – la “Zeuhl” – qui a ouvert la voie à un rock gothique, sombre, mêlant des inspirations jazz et métal. Il a développé une histoire, une “sorte de mémoire cosmique en relation avec l’Univers, qui aurait mémorisé tous les sons existants dans les profondeurs de notre esprit” (dixit Wikipedia). Si l’on fait abstraction du discours mystico-apocalyptique – pour faire court, le récit d’un peuple frappé de désespoir et rage – et que l’on se concentre sur la seule musique, ses incantations, ses rythmes parfois martiaux et ses sonorités très particulières, on se laisse aller à une espèce de transe, on ferme les yeux et on se laisse happer.
Stella remercie le public et souligne que Christian Vander n’est pas qu’un joueur de batterie. Le final se fera donc en douceur avec Ehn Deiss – un morceau purement vocal extrait du répertoire de Offering, le projet jazz lancé au milieu des années 80. Le public écoute dans un silence quasi-religieux et applaudit à tout rompre. Au fait, la présente tournée s’appelle le “Reset Tour”. Celle d’avant, passée par les États-Unis et la Chine, était baptisée “The Endless Tour”. Des DVD continuent de sortir, des disques sont enregistrés sans interruption depuis plusieurs années, des documentaires sont produits. La musique de Magma est intemporelle et témoigne d’une longévité exceptionnelle.
Reportage : (C) Patrick Ducher – (c) Photos : Patrick Ducher & Pauline Désormière
Setlist : 1. Emehnteht-Re 1-3. 2. Theusz Hamtaahk ; 3. Kobaïa ; 4. Ehn Deiss (durée 1h45 environ).
Musiciens : Stella Vander : chant ; Isabelle Feuillebois : chant ; Hervé Aknin : chant ; Benoît Alziary : vibraphone ; Rudy Blas : guitare ; Jérôme Martineau-Ricotti : Fender Rhodes ; Philippe Bussonnet: basse et Christian Vander : batterie et chant