Le 9 mai dernier, Roger Waters, mythique bassiste des Pink Floyd faisait halte à la Halle Tony Garnier devant 15000 personnes. Parmi ces spectateurs venu assister au premier concert français de la tournée mondiale « Us + Them », notre envoyé spécial Patrick Ducher

Comment aborder le concert d’une légende du rock qui a survécu aux trips psychédéliques des sixties et seventies ? En fan transi qui a lu bon nombre d’articles sur le bonhomme et qui s’est forgé une image de lui en vieille star irascible, aigrie et rancunière mais néanmoins géniale ? En ingurgitant une masse de clips de sa tournée européenne débutée en avril dernier et en écoutant ses nombreuses interviews dans lesquelles il fustige tout à tour le régime de Netanyahou (qui applique selon lui une politique digne de l’apartheid), la personne de Donald Trump (“un porc”), la dictature de l’argent et du profit ? Rien de tout cela ! Le scribe a gardé ses yeux et ses oreilles vierges de toute influence pour vivre pleinement ce show grandiloquent et monumental. Lyon était la 14ème date d’une tournée européenne qui en comptera plus de 60 et qui fait suite à celle de près de 70 villes d’Amérique du Nord. La précédente tournée (“Roger Waters – The Wall”) s’était étalée sur trois ans (2010-2013) et près de 220 concerts. Roger Waters a maintenant 74 ans.

On se dit que la Halle Tony Garnier sera loin d’être pleine car beaucoup de gens ont revendu leurs billets pour cause de pont de l’Ascension. Les purs et durs se massent dans le parterre, tandis qu’on se positionne à une vingtaine de mètres du centre de la scène. Encore deux heures d’attente avant le début du concert. On remarque la variété des t-shirts et on est surpris de constater une forte présence de vingtenaires et trentenaires venus voir la légende qu’écoutaient leurs parents. S’il y a une majorité de têtes argentées, on est loin des ambiances “biture, coke et spliffs” décrites dans “Pink Floyd: I was there”, un recueil de souvenirs de fans depuis les débuts londoniens du groupe en 1966. Ici, tout le monde est poli, c’est bon enfant. On boit quelques bières dans des gobelets en plastique et on évoque des souvenirs de tournée. A peine le temps de tourner la tête et voilà la halle investie par 15.000 personnes !

Comme indiqué sur les billets, le concert débute à vingt heures pétantes : on découvre tout d’abord une femme voilée de dos, assise face à une plage, immobile. Rien ne se passera pendant vingt longues minutes. La halle est envahie de sons de mouettes, puis une mélopée
arabe s’échappe des enceintes. Le ciel (syrien ?) devient rouge vif. Waters salue brièvement la foule et lance la soirée, qui sera placée résolument sous le signe de Pink Floyd avec 18 titres du groupe pour seulement 4 de son dernier (et brillant) album – le premier depuis 1992 – sorti en 2017 et intitulé “Is this the life we really want”. 9 musiciens l’accompagnent. Les parties vocales chantées précédemment au sein de Pink Floyd par le guitariste David Gilmour sont réparties entre ses deux guitaristes et son claviériste, le fidèle Jon Carin. C’est troublant au départ car le “son” Pink Floyd est pour beaucoup indissociable des années de gloire du groupe, entre 1973 et 1980. Les exégètes se lancent en d’interminables comparaisons sur le sujet : Gilmour sera à vie “the voice and guitar of Pink Floyd” tandis que Waters restera son “creative genius”. Mais les batailles juridiques sans fin des années 80 et 90 entre les deux anciens collègues semblent oubliées. Ce soir, Waters est le chef d’orchestre d’une musique qu’il a contribué à hisser au panthéon du rock. Dans les années 70, les membres du groupe étaient – selon leur propre souhait – totalement anonymes et s’effaçaient derrière la prestation scénique.

Quand RogerWaters attaque seul au micro trois titres à la suite très poignants de son album solo, on le sent libéré, peut-être plus sincère.

En 2018, la boucle est bouclée : les tubes s’égrènent pour le plus grand plaisir du public venu pour ça. L’ensemble est un brin affecté, joué quasiment à la note près, tout en restant sublime (“Welcome to the machine”). Quand Waters attaque seul au micro trois titres à la suite très poignants de son album solo, on le sent libéré, peut-être plus sincère. Sur “Déjà Vu”, il psalmodie “If I had been God, I would have rearranged the veins in the face to make them more Resistant to alcohol and less prone to ageing”. “The Last Refugee” traite du douloureux problème des migrants et sur “Picture That”, il crachesa haine d’un leader politique (“Picture a leader with no fucking brains”) dont on devinera aisément l’identité par la suite.

La première partie se termine déjà en apothéose avec les premières notes du méga-hit “Another brick in the wall” dont le message a sensiblement évolué depuis la sortie du mythique album “The Wall” en 1979. Douze jeunes gens en tenue de prisonniers de Guantanamo encagoulés de noir entourent le chanteur. Ces douze adolescents lyonnais sont issus de l’école de danse Pôles en Scènes, et ont été contactés pour leur implication dans des œuvres caritatives locales nous apprend Le Parisien. “Ils sont magnifiques” s’exclame le chanteur en réponse aux applaudissements de la foule, à laquelle il explique que le groupe reviendra pour la seconde partie qui sera “Oh la la !” selon ses propres dires.

Du temps de sa splendeur, Pink Floyd était réputé pour ses scénographies grandioses – le groupe jouait dans des arènes de 80.000 personnes – ce qui avait passablement dérangé Waters et l’avait amené à dénoncer l’enfermement de la rock stardans une tour d’ivoire. Durant le concert de Lyon, il alterne entre les deux extrémités de la scène, pour être vu de tous. La seconde partie sera effectivement spectaculaire : la centrale électrique de Battersea, rendue célèbre par la pochette de l’album “Animals” (1977) et son cochon volant se matérialise comme par miracle sur des écrans géants déroulés depuis le faîte de la halle. Et Waters va se lâcher : des images de Trump grimé en pute à micro-pénis (!) sont projetées sur l’écran situé en fond de scène, tandis que des slogans vindicatifs s’affichent un peu partout pour fustiger en vrac l’emprise des banques sur l’économie et la vie des gens ainsi que le contrôle de la pensée par les médias et les réseaux sociaux. Pendant une pause surréaliste lors de la chanson “Pigs”, les musiciens massés à gauche de la scène arborent des masques de cochons tout en sirotant des flûtes à champagne. Waters hisse à bout de bras une pancarte indiquant “Pigs rule the world” (“le monde est dirigé par des cochons”) – le slogan en français “Trump est un porc” suscite des vivats) et qu’il faut tous les virer. Démago, lourdingue et un peu facile certes. Mais combien de rock stars peuvent se permettre une telle posture ? Waters dénonce les leaders politiques extrémistes en Europe (Orban, Erdogan, Le Pen, Farage…) et dans le monde entier (Kim Jong Un, …). Ça fleure bon les années 70 remises au goût du jour en mode “dans ta gueule” sans aucune nuance.

Néanmoins, rares sont les artistes à la renommée planétaire à enfoncer un tel clou avec autant de virulence et de sincérité à l’heure du politiquement correct. Résolument pro-palestinien, il informe les gens qu’il manifestera prochainement et dit “espérer qu’il se fera arrêter”. Rappelant l’attachement de la France aux valeurs des droits de l’homme et à la révolution de 1789, il exhorte le public à œuvrer pour la liberté de tout être humain et à combattre toute forme de contrainte politique. Soudain, un énorme cochon volant propulsé par de petites hélices se déplace dans la halle. Sur son flanc est inscrit “Piggy bank of war” (“la tirelire de guerre”) pour dénoncer les organisations et les états qui profitent des conflits armés.

On sent Waters particulièrement vindicatif sur les morceaux les plus politiques et sociaux extraits de quatre albums du Floyd (“Dark side of the moon”, “Wish you were here”, “Animals” et “The Wall”). Soudain, des pinceaux de lumière surgissent des quatre côtés du devant de la scène pour former la mythique pyramide et le prisme multicolore de “Dark Side”…  “Il ne manque qu’une harpe laser” me souffle mon voisin amusé. La scénographie conçue par Taits est époustouflante. Le son est clair – Tony Garnier a pourtant une très mauvaise réputation – et Roger peut entonner “Mother” à la guitare acoustique, puis “Comfortably numb” devant un parterre conquis.

Que retenir de la soirée en prenant un peu de recul ? Le fait de ne pas avoir regardé d’extraits au préalable permet de vivre pleinement le moment présent et de se laisser emporter par les chansons. Le scribe s’est revu plus de 35 ans en arrière. Mon pote Christian “La belette” avait piqué deux exemplaires de “The Wall” au Prisunic et m’en avait offert un. Je me souviens du sticker transparent perdu depuis. Je me souviens aussi d’avoir dévoré un Rock & Folk – avec David Gilmour en couverture retrouvé sur ebay depuis – consacré à la tournée de l’époque (seulement 31 concerts et aucune date en France !). Se dire que le rock n’est pas tout à fait mort tant qu’il conserve sa capacité à questionner les consciences. Welcome my friends, to the machine. 

Setlist : 1. Breathe 2. One of These Days 3. Time 4. Breathe (Reprise) 5. The Great Gig in the Sky 6. Welcome to the Machine 7. Déjà Vu 8. The Last Refugee 9. Picture That 10. Wish You Were Here 11. The Happiest Days of Our Lives 12. Another Brick in the Wall

Part 2 13. Another Brick in the Wall Part 3 // Entracte // 14. Dogs 15. Pigs (Three Different Ones) 16. Money 17. Us and Them 18. Smell the Roses 19. Brain Damage 20. Eclipse //

Rappels : 21. Mother 22. Comfortably Numb

Musiciens : Roger Waters (basse, chant, guitares), Dave Kilminster (guitares, basse, voix), Gus Seyffert (guitares, basse, claviers, voix), Jonathan Wilson (guitares, claviers, voix), Bo Koster (piano, claviers), Jon Carin (piano, claviers, guitares, voix), Ian Ritchie (saxophone), Joey Waronker (batterie, percussions), Jess Wolfe et Holly Laessig (chant, percussions).

Compte-rendu de Patrick DUCHER

Photos de Pauline Désormière et Patrick Ducher

Extraits du concert 

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