The Stranglers, l’un des derniers groupes issu de la vague punk d’origine contrôlée à enregistrer de nouveaux albums et continuer les tournées, était de passage à Saint-Etienne le 16 mars pour leur tour 2023. Patrick Ducher était dans la salle. Il nous livre ses impressions.
10ème concert de 2023, 7ème concert français et 23ème de la tournée européenne des Stranglers à l’occasion de la sortie de Dark Matters, le 18ème album studio des « meninblack» : « Nous sommes habillés en noir et nous portons des Doc Martens. Nous sommes les Stranglers et nous continuons » s’exclame Jean-Jacques Burnel, bassiste et seul survivant du lineup originel fondé au milieu des années 70 à Guildford. La petite salle du Fil, à Saint-Étienne, était pleine (dans les mille personnes debout) pour écouter le quatuor tenter de perpétuer un souffle punk mis à mal après les décès successifs du batteur Jet Black (2022) et du claviériste Dave Greenfield (2020). Mais est-il possible d’être punk en 2023 ?
En première partie, le trio Brother Junior de Marseille chauffe une salle bienveillante. Du bon gros blues qui tâche, énergique et sincère dont on retiendra le morceau de clôture d’un set de 30 minutes « I deserve love » catchy à souhait et repris en chœur par le public. Idéal pour patienter avant l’arrivée des quatre étrangleurs à 21 heures pétantes pour deux heures pétantes d’un rock bien musclé. « Tout le bon rock vient du pub-rock » dit d’ailleurs le plus anglais des Français ou le plus Français des Anglais du groupe mythique.
Un jeudi soir à Saint-Étienne
Pas de fioritures, pas de changements incessants de guitares, plus d’une vingtaine de morceaux joués quasiment sans interruption, avec un corpus issu principalement des années dorées (77-86) : 5 titres de « Rattus Norvegicus » (77), 4 de « Black and White » (78), 3 de « No More Heroes » (77), 2 de « La folie » (1981) mais aussi 4 du dernier en date, « Dark Matters » (2021).
De quoi satisfaire à la fois le petit contingent de rosbifs venus écouter leur groupe fétiche, tout autant que les froggies grisonnants. « Il y a des retraités dans la salle ? » lance Burnel, avec un sourire mi-moqueur, mi-ironique aux lèvres. « Ça me prend un temps fou de teindre mes cheveux en gris chaque matin » ajoute-t-il.
Un jeudi soir, à Saint-Étienne, après une journée de manifestations dans tout le pays, quoi de plus sympa que de se secouer le popotin en reprenant en chœur des refrains entêtants venus tout droit d’une époque où provocation, rage et headbanging faisaient bon ménage ? Jim Macaulay derrière les fûts depuis 2013, développe une frappe efficace et lance chaque morceau. Toby Hounsham remplace Greenfield aux claviers après 45 ans de bons et loyaux services (seule la mort l’empêche d’être là!).
S’il est peut-être moins subtil, cela ne nuit pas à la cohésion du combo. Certes, on est loin des moshpits et autres pogos violents des glorieuses années post-Sex Pistols. Le public a vieilli, mais reste passionné. Non loin de moins se trouve une filiforme sexagénaire anglaise, rien que la peau sur les os et 1,55m de nervosité, qui sautille comme une collégienne lorsque l’impressionnant guitariste et chanteur Baz Warne (en poste depuis 23 ans) vient taquiner la foule, un méchant rictus aux lèvres, avec son comparse bassiste. Le duo semble armé de mitraillettes qui envoient des notes et font mouche à chaque coup.
The Stranglers, une posture, des gueules
Un mot sur les deux frontmen : à gauche de la scène, Jean-Jacques Burnel, droit comme un « i », semble très concentré. De temps en temps, il se déhanche et fait de grands mouvements de jambes. Il assure le chant lead sur quelques titres, notamment l’emblématique « La folie », rare (seul ?) moment calme pendant le show. « Vous avez le droit d’avoir une bouteille de verre dans la salle ? » demande-t-il, narquois, en s’enfilant une gorgée de Corona et en triquant ostensiblement avec ses comparses, armés des mêmes bouteilles.
Qu’il est loin le temps où crêtes de coqs et autres skinheads jetaient bouteilles et canettes aux musiciens. Devant moi, au premier rang, trône le crâne luisant d’un fan arborant le t-shirt de la tournée anglaise de 2017, qui filme avec avidité, tout en levant un poing vengeur notamment sur « Something Better Change ».
À la droite de la scène, Baz Warne, la bouche perpétuellement grande ouverte, éructe les lyrics. Burnel raconte que le groupe aime tellement la bonne bouffe française qu’il faut élargir leurs frocs. La foule gronde de plaisir, évidemment. Il faudra attendre le bref rappel pour reprendre son souffle. Burnel évoque les rides (« Lines »), son hommage à la vieillesse. Puis un moment émouvant où le bassiste rend un autre hommage, cette fois-ci à son défunt collègue pendant 45 ans, Dave Greenfield. À ce moment, les claviers sont illuminés d’un violet sépulcral et le silence se fait.
Une énergie sur et face à la scène
Clôture en apothéose avec deux titres fleurant bon l’énergie punk : « Go, Buddy go », tout premier titre des Etrangleurs. Et surtout « No More Heroes », titre-phare de l’album éponyme (1977) dont les paroles sot reprises avec fougue par le public de jeunes et de bien moins jeunes (Whatever happened to all the heroes? All the Shakespearoes? They watched their Rome burn). Je remarque pas mal de génération Z, comme souvent venus voir les légendes. Ils sont tatoués, ou venus avec papa (ou maman), en couple ou solo. Les yeux brillent.
« Golden Brown » me renvoie à un voyage en Angleterre en 1982. « Always The Sun » est scandé par toute la salle, tout comme « Walk On By », reprise pêchue d’une chanson de Burt Bacharach, disparu en 2023. Le show se termine exactement 2 heures après avoir commencé. Les genoux sont lourds et sifflent un peu. Derrière moi, un groupe de quinquas anglais repart satisfait. Il suit le groupe depuis 18 dates. Leur dévouement « for the love of rock’n’roll » est impressionnant. We could be heroes. Le mythe se perpétue…
Texte, photos et vidéo – Patrick Ducher
Setlist 1. Toiler on the Sea 2. Duchess 3. Sometimes 4. Relentless 5. Nice ‘n’ Sleazy 6. This Song 7. Never to Look Back 8. Always the Sun 9. La Folie 10. Peaches 11. Golden Brown 12. The Last Men on the Moon 13. (Get a) Grip (on Yourself) 14. Sweden 15. White Stallion 16. Walk On By 17. Hanging Around 18. Straighten Out 19. Something Better Change 20. Tank Rappel 2 1. The Lines / Dave 22. Go Buddy Go 23. No More Heroes