On l’a déjà dit sur ce site, le groupe uKanDanZ produit une des musiques les plus originales et excitantes du moment. Formidable en disque, renversant en concert. Son puissant et opulent, rythmique infernale, guitare savante et virtuose, voix envoûtante et nerveuse, sax créatif et ravageur, impossible de ne pas succomber. Originaire de Lyon et Addis-Abeba, uKanDanZ était de passage à l’Epicerie Moderne de Feyzin le 18 mai dernier. Cineartscene en a profité pour interroger le groupe et tenter de percer le secret de cette musique sorcière.
A L’origine du groupe, il y a Damien Cluzel, guitariste et compositeur, formé au conservatoire de Jazz d’Amsterdam d’où il part pour l’Ethiopie. Là il a commence à jouer avec des musiciens du cru, avant de rencontrer Francis Falceto. Le spécialiste de la musique éthiopienne – il a contribué à la diffuser à l’international grâce à Éthiopiques, série d’une trentaine de disques dédiés à la musique éthiopienne et érythréenne des années 1960 aux années 2000 (Buda Musique) – l’aiguille sur différents projets qui lui permettent d’apprendre les gammes éthiopiennes. Après avoir passé quelques temps à imiter l’existant, le Lyonnais se lance dans la composition de sa propre musique.
De retour à Lyon en 2006, il propose au saxophoniste Lionel Martin, au batteur Guilhem Meier et au clavier Fred Escoffier de participer à sa nouvelle aventure : uKanDanZ. Pour la voix, il a son idée : Asnake Gebreyes avec qui il a enregistré un disque en 2003. Le chanteur d’Addis-Abeba, vedette dans son pays, est ouvert à cette collaboration. Un premier disque Yetchalal sort en 2012, suivie par plusieurs tournées un peu partout dans le monde. En février dernier sort Awo, un album au style rock plus affirmé que jamais avec l’arrivée du bassiste Benoit Lecomte en remplacement de Fred Escoffier.
Des standards ethiopiens entièrement réadaptés : la marque de fabrique de uKanDanZ
Leur répertoire est constitué en majeure partie de standards éthiopiens et de compositions de Damien Cluzel, tel le très réussi Ambassel to Brussel sur Awo. Là réside un de leurs premiers secrets, ces fameux standards sont entièrement réadaptés. « La plupart du temps, explique Damien, on ne garde que la mélodie et le chant. Seules deux chansons ont été conservées telles quelles, Belomi bena et Sema (1er album). On les a juste joué avec un son rock, qui n’existe pas vraiment en Éthiopie. »
Ce concept qui est la marque de fabrique de uKanDanZ, ne simplifie pas le travail de composition. Leur répertoire met du temps à se renouveler. D’autant plus que – autre singularité – Asnake continue à vivre à plein temps à Addis-Abeba. Pour avoir de nouvelles créations, il faut donc que Damien trouve l’inspiration, que les morceaux conviennent à Asnake et bien sûr au reste du groupe, et qu’ils « collent » au style uKanDanZ. Ils ne répètent quasiment pas avec le chanteur. Asnake ne vient en général que pour les concerts. Il arrive et dès le lendemain le groupe joue…
« L’avantage, souligne Lionel, c’est que quand ça fonctionne, c’est bon en 5 mn, c’est une évidence. Cela a été le cas par exemple pour Sèwotch Men Yelalu qui ouvre Awo »
L’inconvénient majeur du système est qu’ils peuvent parfois travailler des morceaux qui ne sont au final pas conservés. Les dernières compositions, Asnake n’a pas adhéré. A l’inverse, il arrive qu’il amène des chansons qui ne conviennent pas pour uKanDanZ. « En Éthiopie, reprend Damien, les musiciens ne raisonnent pas du tout comme nous. Ils aiment essayer tous les styles, du reggae au twist… Il faut en permanence faire un pas vers l’autre. Cela demande beaucoup d’énergie et de temps. »
« De toute façon, ajoute Guilhem, dans un groupe il y a toujours un choix qui est fait en fonction des personnalités de chaque membre. »
Les personnalités, justement, parlons en ! Car au final ce sont ces individualités riches qui font que uKanDanZ est unique. Tous formés à leur instrument respectifs et à la composition dans des conservatoires de jazz, chacun mène une carrière marquante en dehors de uKanDanZ. Damien Cluzel au sein du groupe Pixvae et du projet Polymorphie (Grolektif), notamment. Benoit Lecomte, ex JMPZ sévit dans les étranges et très forts Ni et PinioL. Dans ce dernier groupe on trouve aussi Guilhem Meier, membre par ailleurs des non moins puissants et hors norme PoiL et Icsis. Quant à Lionel Martin, il poursuit en parallèle sa carrière de jazzman, joue avec les plus grands – de Steve Mackay à Gorges Garzone – et connait un beau succès avec le disque qu’il a sortit en début d’année en compagnie du pianiste Mario Stantchev, Jazz before jazz.
S’ils ont fait le choix, après des essais non concluants au début du groupe de composition en commun, de laisser ce rôle à Damien Cluzel, les autres membres du groupe participent activement aux arrangements. L’univers de chacun s’imprime ainsi imperceptiblement et produit ce style innovant.
Revers de la médaille, toucher un large public est compliqué, en particulier en France où le public est plus attaché aux étiquettes et moins ouvert à la nouveauté. En comparaison le groupe bénéficie peut-être d’une meilleure écoute dans les pays nordiques, en Allemagne et Hollande, voire au Japon. En Ethiopie, le groupe n’a joué qu’en 2010/2011. La réception avait été très bonne. « Mais, s’interroge Lionel, comment serions nous perçu aujourd’hui, alors que l’on a bien épuré notre musique, qu’on l’a rendu plus cohérente, grâce entre autre à l’apport de Ben, et que l’Ethiopie évolue très vite ? ». En attendant le groupe sera présent cet été dans plusieurs festivals, en France, Belgique et Hollande.
Emmanuelle Blanchet