A l’occasion de la nouvelle exposition événement de la Galerie Chybuski, à Ville sur Jarnioux, intitulée Rats, qui propose des oeuvres de Fabrice Minel, et de « special guests » de luxe, Benjamin Flao et Zwy Milshtein, du 8 septembre au 1er octobre, nous vous proposons de redécouvrir une interview d’Uli Traunspurger, maitre des lieux et lui-même plasticien, réalisée en 2014.
Artiste allemand du Beaujolais, Uli Traunspurger, construit son œuvre l’air de rien, en lançant des ponts entre art religieux et création contemporaine, dans un esprit toujours délicieusement rock’n roll. Propriétaire de la galerie Chybulski, antenne française, avec sa précieuse équipière Elisabeth Triboulet, Uli Traunspurger ne parle pas si facilement de lui. A l’occasion de sa prochaine exposition, Cars, dans laquelle il présente, en compagnie de Torsten Prothmann, de nouvelles œuvres, il a accordé à Cineartscene une longue interview. Histoire de revenir sur un parcours passionnant. Cars, après un passage cet été à galerie Glasbau, en Bavière, se tiendra du 6 au 21 septembre à Ville-sur-Jarnioux.
Avez-vous toujours eu envie d’être artiste ?
Je ne sais pas ce que je voulais faire quand j’étais petit. Je ne me rappelle plus !
Y a-t-il eu un déclic ?
Non. Mon éducation peut-être m’a poussé vers l’art. On m’a toujours emmené au musée. Mon père était musicien. Mes parents étaient collectionneur d’art… Naturellement, j’ai étudié à Munich l’Histoire de l’art. Pas longtemps, le temps d’avoir une place dans une formation de « restaurateur d’église » pour apprendre les techniques de restauration des œuvres d’art religieuses, peintures, fresques, sculptures, etc.
J’ai fait ça à Munich – en Bavière il y beaucoup d’églises baroques – pendant trois ou quatre ans, en alternance avec des cours aux Beaux-arts. C’est une formation très pointue, très difficile.
Et après, comment passe-t-on de cette formation très académique à ce que vous êtes devenu ?
Après je suis allé quelques mois en Italie. J’ai travaillé avec des faussaires. [Rires] C’était intéressant, très formateur, j’ai beaucoup appris ! Et puis j’ai travaillé trois mois par ci, trois mois par là… J’ai voyagé, fais la fête… J’ai joué dans un groupe, qui a fait beaucoup de concerts (à Saint-Etienne notamment !), des disques, etc.
Quel instrument ?
Un peu tout, piano, guitare, chant ! Je faisais surtout le show ! Je n’étais pas un bon musicien, mais j’avais de bonnes idées ! Quand j’avais besoin d’argent, je faisais de la peinture, des caricatures, etc.
A quel moment avez vous commencé à peindre plus sérieusement ?
[Rires] Je n’ai pas encore commencé !
A ne faire que ça, disons !
Un jour, je n’ai plus eu envie de musique. Sans vraiment de raison. J’habitais en Bavière, dans une grande ferme, dans un genre de communauté très branchée High-tech. J’ai décidé d’aller à Vienne, à l’université, étudier la science du théâtre, pour changer un peu ! J’ai bien aimé Vienne. Avec des copains, on a fondé le célèbre Flex, qui est aujourd’hui un des clubs underground les plus modernes d’Europe et où il y avait des concerts post-punk, alternatifs, etc. Au début c’était dans une toute petite salle, dans un quartier de Vienne un peu défavorisé…
Parallèlement, je peignais. J’ai rencontré un des plus grands galeristes d’Autriche. J’ai beaucoup exposé. Je n’avais plus le temps de peindre et de poursuivre mes études en même temps. J’ai arrêté les études bien sur… ça commençait à bien rouler. Mais quand ça a été trop bien, j’ai arrêté ! J’ai changé d’endroit !
En fait, c’était tout de suite après la chute du Mur, à Berlin. Je voulais voir ça. Je me suis installé là-bas. Les premiers dix ans qui ont suivi, c’était vraiment super. Chaque jour on exposait de nouvelles choses. On essayait plein de trucs, on montrait des films, on squattait des petites caves, on faisait juste des flyers pour indiquer les lieux d’exposition… Aujourd’hui, Berlin c’est tout propre, restauré. A l’époque, c’était tout gris… On ne peut pas imaginer ça si on ne l’a pas vécu.
Un peu plus tard, on a ouvert un hôtel pour les artistes. A coté du Reichtag, près de la Chancellerie. Cela existe encore, mais maintenant c’est très chic. A l’époque, c’était des petites chambres pas chères… On était un groupe très international, avec des Russes, des Américains, des Français. Tous les dimanches, on squattait un jardin, dans lequel étaient installés des petits box pour les chiens des gardes-frontière. On s’en servait pour exposer nos œuvres. C’est tout détruit aujourd’hui…On y faisait aussi à manger pour une centaine de personne ! On ne voulait pas gagner d’argent. C’était pour les pauvres, les artistes. On faisait trois quatre plats différents, dont un végétarien, pour rien du tout ! On a fait ça pendant quatre ou cinq ans.
Et puis il y a eu le groupe Chybulski avec qui on a fait de grandes installations. On avait notamment fabriqué une machine à faire danser des ours, haute de 7 ou 8 mètres, très compliquée à installer ! On avait fait ça avec le métro de Berlin. Quand les trains passaient, cela faisait danser les ours !
J’ai fait plusieurs projets aussi pour la ville de Berlin, notamment des singes qui faisaient la manche, installés devant un théâtre en danger ! Et une série de 25 vautours, placés sur des lieux menacés. Il y avait énormément de subventions pour l’art… Puis en 1997, le groupe Chybulski a été expulsé de la maison où il était installé. Mais on a essaimé à plusieurs endroits. Certains membres sont allés en Autriche. C’est comme ça qu’il y a une galerie Chybulski à Feldkirch (Vorarlberg), à la frontière austro-suisse. Le groupe garde toujours quelques contacts.
Et moi, j’ai déménagé en France. A Montrottier, dans l’atelier du peintre et sculpteur Winfried Veit (aujourd’hui installé à Saint-Julien-Molin-Molette, dans la Loire, il devrait revenir présenter ses œuvres à la galerie Chybulski l’année prochaine). L’atelier était installé dans des jardins. C’était super en été, mais en hiver… ce n’était pas chauffé. Il a fallu trouver autre chose.
C’est là qu’on c’est installé ici à Ville-sur-Jarnioux, fin 2003. Mais il n’y avait pas d’atelier. J’ai donc fait une pause artistique d’environ un an. On a construit l’atelier et fait la galerie. On a ouvert en 2005. Cela s’est imposé. Quand tu as vécu à Vienne, à Berlin, tu as besoin d’un peu de mouvement ! Et à Villefranche, à l’époque, il n’y avait plus de galerie. Cela nous permet de recevoir des copains, les artistes qu’on aime…
Si on parlait un peu de votre travail ? Comment avez-vous évolué ?
J’ai complètement changé. Déjà, je ne peins plus du tout, je n’ai plus envie. Je me concentre sur les objets. Mais je garde les bases de mon apprentissage, de l’art religieux. J’utilise des techniques qui remontent au XIIe siècle, qui n’existent pas du tout dans l’art moderne. Je travaille les feuilles de métal, les oxydations.
Avez-vous des influences, des sources d’inspiration ?
Non ! Il y a beaucoup de chose que j’aime bien, d’autres que je n’aime pas du tout. Mais je n’ai jamais voulu faire quelque chose qui ressemble à ce que j’ai vu !
En phase de création, avez-vous un processus de travail précis ?
Non, ça vient, c’est tout ! Souvent les idées me viennent en voiture, quand je conduis !
Et la sculpture, c’est beaucoup autour du métal…
Pas toujours. Et le métal uniquement sous forme de feuilles. Sinon je travaille le grès, le bois, la colle de peau de lapin…
Avez-vous des thèmes récurrents ?
Non. Enfin si, maintenant, la voiture ! Les jouets en général, peut-être. J’aime bien jouer avec les jouets ! Longtemps mes thèmes était très politique, comme ce que j’avais fait avec de vieux textes du XVIe, XVIIe siècle, mais je n’ai plus envie, ça ne m’intéresse plus…
Imaginons quelqu’un qui ne connais pas du tout votre œuvre, comment la lui décririez-vous ?
Je lui dirais : faut le voir ! Je ne peux pas expliquer ce que je fais, je peux expliquer la technique. De toute façon, je n’aime pas expliquer la peinture, l’art. Cela devient trop compliqué… Les titres, c’est pareil, je n’en mets jamais… Derrière mes œuvres, il y a des concepts plus artisanaux qu’intellectuels. Pour réaliser certaines œuvres, il m’a fallu parfois des années, entre la conception et la réalisation, pour arriver à trouver la bonne technique. Disons que chaque œuvre existe très précisément dans mon esprit. Et ce sont de petits défis techniques pour les réaliser comme je les vois dans ma tête.