Beth Hart cumule tous les clichés de la chanteuse blues-rock : elle est rousse (donc forcément incendiaire), elle puise ses inspirations dans la grande tradition des « screameuses » blanches (Janis Joplin, Bonnie Raitt, …) qui elles-mêmes ont fait des emprunts aux grandes dames black qui les ont précédées comme Etta James, Bessie Smith, ou encore Billie Holiday. Pourtant, Beth a su toucher un public plus large en proposant une musique mâtinée de pur rock’n’roll. Et, surtout, elle a une parfaite maîtrise de la scène. Elle a enchanté une Bourse du travail entièrement acquise à sa cause et rarement le scribe a vu un public soutenant une artiste de bout en bout sans mollir.
Depuis la sortie de son dernier album Fire on the floor (2016), Beth n’a pas chômé et tourne depuis quasiment deux ans sans relâche, enchaînant les collaborations prestigieuses (notamment avec les guitaristes Jeff Beck et Joe Bonamossa). Révélée en Europe grâce à une performance ébouriffante au Paradiso d’Amsterdam en 2005 et une interprétation XXL de Whole Lotta Love de Led Zeppelin, elle n’a cependant pas eu un parcours facile : presque détruite par la drogue, elle a vécu de gros problèmes psychologiques alors qu’elle est âgée d’une vingtaine d’années. Sur scène, elle donne l’impression d’une femme forte, sûre d’elle, de son charme et de sa voix. Pourtant, elle avoue sans pudeur à son public “être la femme la plus fragile et instable au monde”. Follement amoureuse de son road manager de mari, Scott Guetzkow depuis près de vingt ans (il lui a fait sa demande en mariage sur son lit d’hôpital), elle est aussi maladivement jalouse, comme en témoigne la chanson Jealousy qu’elle interprète seule au piano.
La connexion entre Hart et son public est presque palpable : sur Love gangster, elle descend carrément dans la salle et arpente les travées, serre des mains, reçoit de tendres accolades. Point de déferlement de fans énamourés : on sent un profond respect de la part des spectateurs, hommes et femmes sont subjugués. Un sexagénaire lui fait même un baise-main. La “setlist” change apparemment souvent sur la tournée et Beth décide d’interpréter une chanson réclamée par une spectatrice sur un pannonceau.
La connexion entre Beth Hart et son public est presque palpable
Hart dispose d’un atout charme indéniable : cintrée dans une courte robe noire très près du corps (“Je l’ai achetée chez H&M et ça me donne l’impression d’avoir de nouveau 19 ans” dit-elle), elle sautille frénétiquement sur des talons de 10 cms de haut face à son batteur. Les morceaux s’enchaînent de façon fluide. Reprises flamboyantes de I’d rather go blind (Etta James), plus intimistes comme Lullaby of the leaves (Elle Fitzgerald), Beth sait alterner les “torch songs” tristes, le rock dur, le blues sec et nerveux. Elle se met souvent au piano, dans la seconde moitié du show, par exemple pour Spirit of God (“je n’aimais pas aller à l’église avec ma mère parce qu’il fallait que je reste calme du coup j’ai écrit cette chanson pour me défouler”) ou Coca-cola (“A Los Angeles, quand j’étais jeune, j’imaginais que tous les jolis garçons que je voyais à la plage avait le goût du coca”). Le sexy n’est jamais loin du désespoir : sur Love is a lie, elle martèle furieusement les touches de son piano en hurlant « Now I’m madder than hell, Love is wagging its tail, I holler, I cry, Love is a lie ».
La prestation fut courte (à peine une heure 30), mais sans cesse sur le fil du rasoir. Le groupe est soudé : si le bassiste Bob Marinelli se montre discret derrière ses lunettes noires, le batteur Bill Ransom martèle ses fûts comme un bucheron. Le guitariste Jon Nichols est parfait : pas de notes en trop, de solos interminables, il ponctue impeccablement le chant de la scream queen, changeant de guitare quasiment à chaque chanson, alternant Fender, acoustique, Strat… Beth minaude, susurre, crie, se fait mielleuse, tantôt assise sur un tabouret, ou carrément à genoux sur le devant de la scène… Ses roucoulements s’étirent interminablement, le public lui fait une standing ovation. Comme à Paris, Strasbourg ou Lille, et partout ailleurs en Europe sur cette tournée sans fin.
Reportage Patrick DUCHER
Extrait du concert : I Love You More Than You’ll Ever Know
(reprise de Donny Hathaway)