L’album mythique des Pink Floyd – The Wall est devenu grâce au chorégraphe Johan Nus un véritable Rock Opera dont tous les titres sont interprétés en live. En tournée dans toute la France le spectacle faisait escale à Lyon le 10 novembre 2023 à l’Amphithéâtre. Reportage Patrick Ducher

 

The Wall Rock Opera – Roland Petit Redux 2023

« The Wall » est le tout premier album de Pink Floyd que j’ai posé sur ma platine en 1980. 42 ans plus tard, j’interviewe pour mon livre « Pink Floyd en France – Les dernières briques » Patrick Jauneaud, l’ingé-son français qui a travaillé avec le groupe dans les studios Super Bear à Berre-les-Alpes. Certes beaucoup de tributes interprètent des morceaux cultes (« Another Brick », « Comfortably » et « Run Like Hell » notamment…), mais voir l’intégralité de l’album sur scène dans le cadre du spectacle « The Wall Rock Opera » suscite de vives attentes de ma part… Voici mon retour circonstancié. Attention, ça pique un peu.

Une scénographie plan-plan

Il a dû être extrêmement compliqué d’imaginer quelque chose d’original après les diverses tournées de Waters. Dans The Wall rock Opera, point d’écrans vidéo, de multimédia, d’accessoires, de light-show éblouissant. On a un écran blanc qui masque un batteur, un bassiste et quatre choristes. Sur cet écran sont projetées des vidéos captées en live par un cameraman, tantôt de « Pink », tantôt des musiciens. À vrai dire, on ne sait pas vraiment pourquoi. Peut-être pour bien faire comprendre aux spectateurs des derniers rangs ce qui se passe ?

On a bien un muret qui se construit à un moment (sur Another Brick p. 3 de mémoire) et des briques qui tombent de façon spectaculaire tout à la fin. Sinon, pas grand-chose à donner en pâture aux yeux des spectateurs. J’entendais une dame derrière moi se lamenter « J’y comprends rien, j’y comprends rien… ».

Une chorégraphie classique

The Wall Rock Opera, scénographieJ’avoue ne pas être compétent pour juger ce volet-là. Cependant, j’ai eu le sentiment de revivre 1972, année où le chorégraphe Roland Petit avait monté un ballet avec les Floyd à Marseille (« avec 40 micros et 80 projecteurs » selon un reporter de l’ORTF). La presse rock – et les fans du groupe – s’étaient montrés dubitatifs, tout autant que les amateurs de danse, chaque camp estimant que le mélange était inapproprié, d’autant plus que la danse était réservée à l’époque à une certaine intelligentsia prout-prout. Bref, en étant très caricatural, des personnages en leggings, jupettes et justaucorps qui courent dans tous les sens et passent la moitié du temps couchés au sol en faisant des gestes d’épileptiques (caricatural, je vous dis). 50 ans plus tard, j’ai le sentiment que revivre une caricature.

À quelques rares exceptions près : Another Brick p2 est plutôt bien, avec des « écoliers » qui se révoltent derrière leurs briques-bureaux blanches. Run Like Hell est terrifiant : les personnages sanglés dans leurs costumes de gestapistes noirs à brassard rouge. L’ombre d’Alan Parker (une référence assumée par la production) plane. C’est le seul moment de vraie folie : deux chanteurs courent vers les travées avant de revenir sagement sur scène. Les guitaristes sont quant à eux sur le devant de la scène, après avoir été cantonnés dans le côté droit.

Ce spectacle ne donne pas envie de s’intéresser à la danse et c’est bien dommage. Secrètement, j’attendais sans doute quelque chose de trop moderne, comme ce que fait par exemple Mourad Merzouki (fantastique spectacle « Pixel ») ou Sacha Waltz. Là, on a dix danseurs, de véritables athlètes, certes, mais bien patauds.

La musique et les musiciens au service au show

La musique est âpre, rêche, violente, elle pique les tympans. Le son est excellent. À gauche de la scène, deux claviéristes. À droite, deux guitaristes, masqués par un écran blanc transparent, un batteur et un bassiste. Mais qui chante ? Quatre chanteurs.euses sont juché.es en hauteur – au-dessus du batteur et bassiste, donc – et totalement invisibles aux yeux des spectateurs. L’un d’entre eux doit être est irlandais car je détecte une pointe d’accent nasal, pas désagréable au demeurant. Les morceaux sont joués à la note près ou quasiment. À noter que le solo de Comfortably Numb est transformé en une bouillie sonore. Je soupçonne que c’est fait exprès.

Le public

L’ambiance est assez étrange. Il y a bien quelques tee-shirts floydiens (notamment de la tournée This Is Not A Drill, The Wall Live ou encore Dark Side … dans l’assistance), mais j’ai le sentiment qu’il y a beaucoup de couples de curieux venus revivre leur jeunesse en famille avec les kids, voire les petits-enfants.

Les applaudissements sont mollassons entre chaque morceau. N’importe quel tribute digne de ce nom suscite l’enthousiasme sur les morceaux de bravoure que sont Another Brick ou Comfortably Numb. Là, non. Tout juste de brefs accompagnements des mains au tout début de Run Like Hell, mais ça retombe vite. Par contre, standing ovation à la fin. Bizarre.

On pourra arguer que le cela aide le spectateur à rester focus sur le spectacle, mais ce qui est le plus frustrant sans doute, c’est que les acteurs du show, danseurs et musiciens, restent totalement inconnus. Leurs noms ne sont pas mentionnés, ils restent anonymes. Mais c’est peut-être l’effet recherché. Que le spectacle capte toute l’attention des spectateurs et que les acteurs s’effacent derrière l’histoire ?

Une production (trop) ambitieuse ?

Le programme (sans aucun crédit et avec des fôtes) nous apprend peu de choses sur les motivations du show : « l’ensemble est un voyage sensoriel dans l’univers psychédélique et introspectif des Floyd (…) Le ballet est irrévérencieux et engagé ». Mouais… Le chorégraphe français Johan Nus est un habitué des adaptations de comédies musicales à succès (West Side Story, Grease, La petite sirène…).

« Dans ce spectacle, il montre la résonance des corps incarnés par la pensée (…) et la perte de repères dans un espace clos ». Le propos est de « montrer nos addictions consommatrices et sexuelles ». Bon, bon… En outre, le programme pose la question « Pourquoi créer The Wall en ballet » ? … mais n’y répond pas et se contente de conclure ainsi : « Comment cet univers graphique pourrait être conté sur scène ? ». Toujours dans le programme, Nus dit « Pour sortir des sentiers battus après 15 ans de création de spectacles musicaux, il m’est apparu d’innover ». Dommage que cela ne soit pas avec The Wall Rock Opera…

 

Texte & photos  : Patrick Ducher

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