Ukandanz, le retour ! Une semaine après la sortie de leur troisième album, le 14 décembre dernier le groupe était en concert à l’Opéra Underground de Lyon
On avait laissé Ukandanz par une triste soirée de fin novembre 2016 au Marché Gare de Lyon. Damien Cluzel avait lâché sur scène, désabusé, que c’était le dernier concert du groupe. Et voilà que, deux ans plus tard, le combo franco-éthiopien de « crunch music » renaît de ses cendres avec un album au titre joyeux Yeketelale, autrement dit « ça continue » en langue amharique. La section rythmique (basse batterie : Adrien Spirli et Yann Lemeunier) a été renouvelée et un synthé confère au disque une texture différente de celle son prédécesseur (« Awo »). Dans le cas présent, la voix d’Asnaké Gebreyes est résolument mise en avant, sans que cela nuise à l’équilibre et à l’explosivité scénique de l’ensemble comme a pu le constater le public de l’Opéra Underground de Lyon.
Spontanément, celui-ci se masse dans la minuscule fosse devant la scène et applaudit chaleureusement les musiciens, avec une attention particulière pour le zébulon éthiopien cintré dans un costume de scène très classe : veste de lin blanc ornée de décorations multicolores et chaussures coordonnées. L’entame est plutôt soft et atmosphérique avec le titre Enken Yelelebesh, comme pour marquer la transition avec le nouveau son développé sur Yeketelale. Mais c’était un leurre et dès le morceau suivant – et pour le reste du concert – on retrouvera l’énergie et la ferveur coutumières du groupe.
La musique de Ukandanz a des effets assez singuliers…
Il faut dire que le « frontman » paye de sa personne : tantôt balançant ses bras, tantôt sautillant, tantôt faisant tressauter ses pectoraux pour le plus grand plaisir de la gente féminine, notamment cinq de ses compatriotes qui dansèrent énergiquement pendant la quasi-intégralité du set. Ce type est extraordinaire : il saute, il chante, il exhorte le public à réagir, bref… il met le feu du haut de son mètre soixante.
Il est vrai que cette musique a des effets assez singuliers : on voit ainsi un quinqua grisonnant les yeux fermés se trémousser comme porté par un trip à l’ayahuasca, des femmes de tous âges onduler avec frénésie, de jeunes gens frapper dans leurs mains… La quasi-intégralité de Yeketelale fut proposée sur scène. Le CD sonne complètement différemment, très bien produit, et sonne presque « pop » avec ses synthés. L’enjeu était de taille ce soir : le concert était une rampe de lancement vers une nouvelle histoire pour le groupe dont le disque a été enregistré en quelques jours au studio Pigalle à Paris pendant l’été 2018, sous la houlette du producteur Antoine Rajon.
Malgré quelques hésitations entre un ou deux morceaux, les presque 90 minutes ont enchanté le public. Les musiciens semblaient heureux. Sur le clavier du nouveau venu Adrien Spirli trône un bouquetin, clin d’œil à la pochette du CD imaginée par Félix Godefroy. Dans une récente interview accordée à Nova Lyon, Damien Cluzel a raconté que le groupe avait fonctionné à l’inverse de son modus operandi habituel qui consistait à jouer des morceaux en live avant de les mettre sur disque.
La gestation de Yeketelale s’est déroulée lentement : Damien a fait des propositions au fils d’Asnaké, qui les a relayées via Messenger. C’est toute une logistique ! Son compère saxophoniste Lionel Martin raconte qu’ils ont enregistré la reprise de Yewenere Ajire, une chanson d’Asnaké retrouvée sur une cassette audio datant de 1988, que le label Buda Records a ressorti cet été. Deux jours de répétitions, trois jours en studio, puis quatre avant le concert. Les spectateurs de l’Opera Underground ont donc assisté à la toute première prestation de la nouvelle mouture de Ukandanz !
Le journaliste de Libération, Jacques Denis a écrit à son sujet qu’il avait joué avec l’orchestre de la police d’état et joué des bluettes pour la télévision. « Le salaire de la police étant insuffisant, j’ai commencé à chanter dans les clubs : quatre nuits par semaine. Il y avait du boulot, mais nous étions soumis au strict couvre-feu du Derg. A minuit, tout était éteint. »
Le concert se termine sur deux rappels. La salle est conquise, les musiciens sourient. Je croise par la suite le « little big man » d’Addis-Abeba et lui serre la main en le congratulant. « Thank you very much » répond-il avec humilité en s’inclinant tout sourire avant de disparaître discrètement. Dans la salle, le célèbre clarinettiste et saxophoniste Louis Sclavis fait part de son appréciation à son confrère Lionel Martin. Demain Ukandanz sera à Paris au Point Ephémère. Et puis… Yeketelale !
Reportage Patrick DUCHER – Photos Pauline Desormière
Le single Gesse :