Vinicio Capossela | Odéon de Fourvière – Lyon | 9 juillet 2016
Reportage de notre envoyé spécial Patrick Ducher
Dans la lignée des chanteurs gutturaux italiens tels que Lucia Dalla, GianMaria Testa ou Paolo Conte, Vinicio Capossela est encore inconnu en France. Découvert complètement par hasard sur un site de lounge music avec sa ritournelle Che cosse l’amor, je me suis vite rendu compte qu’il était hors du moule habituel de la variété transalpine. Mélangeant chants traditionnels, rock, pop, Capossela est aussi sous influence brésilienne – il a repris Estate, popularisé par Joao Gilberto et Nougaro avant lui – et latino-américaine, il détonne et il est impossible de lui coller une étiquette.
Très connu dans son pays, il est l’auteur de plusieurs livres, de recueils de poésie et il a récemment tourné son propre film, un road movie déjanté intitulé Nel Paese dei Coppoloni (L’histoire d’un homme et d’un folklore, de la magie du Sud de l’Italie) qu’il est venu présenter au cinéma Comoedia à Lyon. Les Nuits de Fourvière en ont fait cette année l’invité d’honneur du festival en lui offrant 3 soirs de fête. Déguisé en capitaine de baleinier, en empereur romain ou en créature rupestre, Vinicio ne laisse personne indifférent et le millier de spectateurs – dont une grande partie d’italiens enthousiastes – ne s’y est pas trompé.
Un Brassens sous énergisants, un Trenet brindezingue, un Tom Waits de cabaret croisé d’un zeste de Jacques Higelin
L’entrée en scène a de quoi surprendre. Un orchestre bigarré digne d’un film de Fellini se met en place avec, pêle-mêle une prêtresse en robe rouge coiffée d’une toque de paille, un duo de joueurs de tambours dont les visages étaient recouverts d’argile blanche, un flûtiste portant une robe de bure de couleurs carmin et noire, un guitariste ressemblant à un peone sorti d’un film de Sergio Leone, un contrebassiste ayant largement dépassé l’âge apparent de la retraite, un batteur à la dégaine de hipster, sans oublier deux mariachis souffleurs de trompette…
Une créature surgit : elle est couverte d’une cape constituée de branches, coiffée d’un masque d’âne, ses doigts étant allongés de griffes terrifiantes. On entre de plain-pied dans son dernier album dont le titre Canzione della Cupa (“chansons de l’ubac”) parle de monstres, de bêtes, de divers personnages qui surgissent la nuit.
Le chanteur changera de tenues presque pour chaque chanson. Extravagantes, flamboyantes, étranges, elles évoquent la comedia dell’arte et le théâtre de rue.
On sent aussi une parenté avec le No Smoking Band d’Emir Kusturica, le folklore des Balkans, le côté déjanté des morceaux personnifié par un joueur de tambour japonais véritable sosie sautillant de La Boule (Fort Boyard) qui bat la mesure tel un métronome possédé par le rythme.
S’il fallait se hasarder au jeu des comparaisons, on dirait que Capossela évoque un Brassens sous énergisants, un Trenet brindezingue, un Tom Waits de cabaret croisé d’un zeste de Jacques Higelin.
Le plus étonnant, c’est que sans comprendre un traître mot des paroles, on se laisse prendre par l’enthousiasme des interprètes et, surtout par le public qui réagit au quart de tour. Au bout d’une heure de concert, un trio de jeunes filles se met à danser et les premiers rangs se pressent sur la scène dans une gigue spontanée. Auparavant, tout le monde avait tapé dans les mains, battu la mesure et crié à tue-tête.
Les musiciens semblaient ravis et Capossela allait chauffer le public à blanc et littéralement l’ensorceler : l’avant-scène se retrouve désormais squattée par une marée humaine possédée par une danse de saint Guy ou atteinte du syndrome de la tarentelle. Les femmes se lâchent complètement, des enfants courent de tous les côtés, les hommes sautillent…
C’est la notte de San Giovanni, une fête païenne, les esprits sont possédés par le démon de la gigue. Au bout d’une heure trois-quarts, c’est la fin, le groupe est épuisé, visiblement ravi, et salue en se laissant tomber sur un tapis de coussins verts lancés traditionnellement par les spectateurs. Mais le public est exigeant et demande une “altra canzione” sur l’air de Seven nation army des White Stripes.
Trois chansons en bonus dont une reprise émouvante de Piaf et une autre aux sonorités d’Ennio Moricone. Grazie mille, Vinicio.
Anne Berthod dans Télérama No. 3253 du 16.05.2012 écrivait qu’il était “un metteur en scène du son et un créateur d’univers”. Capossela a eu l’honneur d’être chroniqué dans le fameux mensuel rock Mojo (No. 224 de juillet 2012) par David Hutchinson en ces termes : “Capossela n’atteindra peut-être jamais la terre promise – le monde anglo-saxon rejettera ses avances – mais on ne peut qu’espérer qu’il y en ait plus comme lui qui tentent d’approcher le nouveau monde”
Lione, eccoci qua, bellissima serata ! Lyon était “the place to be,” ce fut une belle soirée.
Plus d’informations : le site de Vinicio Capossela
Photos & vidéos : Patrick Ducher