Le premier anniversaire de la mort du chanteur auvergnat Jean-Louis Murat (25 mai) a donné lieu à un grand concert à la Coopérative de Mai de Clermont-Ferrand le mois dernier. Un événement moins médiatique s’est déroulé quant à lui le temps de deux soirées dans la minuscule salle clermontoise du Fotomat, les 21 et 22 juin. Il s’agissait de la 2ème édition du week-end « Yes Sir », entièrement consacré au barde auvergnat et à son univers. Un événement en passe de devenir incontournable pour les aficionados.
Un programme dense, entièrement voué à la cause muratienne
Le programme imaginé par Pierrot, l’administrateur du blog de référence Surjeanlouismurat était riche : le hall d’entrée de cet « espace de liberté indépendant situé aux confluences des sensibilités et des arts » accueillait une exposition de coupures de presse, de photos (notamment de Franck Loriou, auquel on doit notamment la couverture de l’album Toboggan (2013)), de disques. Le vendredi soir, un public attentif a pu écouter plusieurs artistes proches de la sensibilité muratienne.
La soirée commence avec un karaoké animé par la pianiste britannique Vivien Marsh accompagnée d’un guitariste. Le public de connaisseurs murmure les paroles. Tout d’abord, Bertrand Louis – récompensé plusieurs fois par l’académie Charles Cros – qui a notamment livré une version très incisive de Suicidez-vous, le peuple est mort, citant au passage Alexandre Vialatte, sous l’œil appréciateur de Marie Audigier.
Le compagnon de studio et de route de Murat, Alain Bonnefont, était de la partie. Seul à la guitare sèche, il a proposé entre autres son titre En Mousquetaire, en Séminole avec son grain de voix rocailleux et ce phrasé âpre qui font sa marque de fabrique. En 1976, Alain faisait partie de Clara, le premier groupe de Murat.
Enfin, Agnès Gayraud philosophe, journaliste et auteure-compositrice-interprète française fondatrice du groupe La Féline a électrisé la dernière partie de soirée, accompagnée par un fantastique batteur et un guitariste impeccable, notamment sur Les jours du jaguar, titre emblématique de l’album Lilith (2003).
Agnès est l’autrice d’un texte extrêmement fort intitulé « La ballade Murat », consultable sur son blog Moderne, c’est déjà vieux et dans lequel elle apparente le chanteur à « un Schopenhauer des cœurs, libertin narquois, misanthrope amoureux, misogyne efféminé, amant déphasé ».
Le lendemain, elle est revenue pour discourir sur la notion d’univers poétique dans le monde pop-rock, et spécifiquement celui de Murat. Bien que n’ayant pas connu le chanteur, l’univers qu’elle décrit dans son propre album Tarbes n’est pas très éloigné de celui de son collègue.
Bien que féru de Bob Dylan, Murat n’était pas un anglophone particulièrement affûté et reconnaissait qu’un tiers des propos dylaniens lui échappant, il avait décidé de proposer une interprétation très personnelle de ce « tiers paysage ». Agnès est par ailleurs l’autrice d’un ouvrage touffu publié chez La rue musicale Dialectique de la pop (2018).
Le titre pourrait intimider. Or elle prend ses lecteurs par la main – ou plutôt par l’oreille – pour expliquer la profondeur de ce genre musical longtemps méprisé. Normalienne, agrégée et docteur en philosophie, chroniqueuse pour Libé et Audimat, et en plus … très sympathique ! Samedi, sa version de Nu dans la crevasse déclencha l’enthousiasme d’un public très averti.
Pèlerinage en Cézallier où Jean-Louis Murat a enregistré Murat en plein air
À titre personnel, la participation à ce week-end fut l’occasion d’un retour aux sources puisque j’ai effectué mes études dans la capitale auvergnate. Avant la deuxième soirée, je me dis qu’un pèlerinage à la chapelle ND de Roche-Charles serait opportun. En effet, c’est dans ce lieu construit au XIIème siècle perdu au milieu de la campagne du Cézallier que Murat décida en 1991 d’enregistrer six titres regroupés dans l’album Murat en plein air longtemps resté introuvable avant sa réédition en 2001. Des images avaient été tournées à l’époque et on se demande bien comment l’équipe a pu accéder à la chapelle tellement l’accès est accidenté. On peut visionner le film ici.
Bruine, chiens errants, vaches distantes, terrain boueux et escarpé… Il en fallut plus pour me dissuader, même si par moment, un sentiment diffus de perte de repères peut rapidement habiter le visiteur lambda. En effet, les panneaux indicateurs sont rares au départ du hameau de Boslabert. Les amateurs de randonnées pourront se reporter à ces indications.
Sur le site du défunt Didier Le bras, on peut lire les explications suivantes : « Je cherchais une chapelle totalement isolée en Auvergne. Roche Charles était un endroit tellement retiré que même les Auvergnats ne la connaissent pas. Il n’y a qu’un pèlerinage tous les 15 août, un paysan nous disait qu’il y a 20 ans ils étaient 3000, maintenant ils se retrouvent 30. Il n’existe pas de route, même pas de chemin, on a traîné tout le matériel, dont un groupe électrogène, à travers champs. En 3 jours, on a enregistré 6 morceaux dont 4 filmés live pour un court métrage ».
Tout cela parce que le chanteur n’avait pas envie de partir en vacances… Le lieu se mérite et invite au recueillement. Il est encerclé par le vide. Plusieurs stèles et tombes datent de la fin du XIXème siècle. Certaines sont soutenues par des linteaux métalliques. L’herbe est drue. Pour la petite histoire, en 1991, il était accompagné d’Alain Bonnefont (guitare, basse, synthé) et de Denis Clavaizolle (orgue, synthé), et le duo se reforma le lendemain. Belle surprise ! De même que l’apparition de Matt Low (Matthieu Lopez), bassiste chez Elysian Fields, et que Murat a encouragé à tracer son sillon personnel.
La fièvre de la nuit de samedi
Quant à la soirée du samedi, elle fut également riche en moments forts. Le journaliste Pierre Andrieu, plus à l’aise à l’écrit qu’à l’oral, est venu présenter son livre Les jours du jaguar (Le Boulon, 2024) dans lequel il a recoupé de nombreuses interviews de proches et de musiciens.
Quelques Binouz’Ours plus tard – bières locales au miel – j’entame de longues et passionnantes discussions avec des « Dolos », ces fans purs et durs – amateurs du mythique album Dolores (1996) – qui ont beaucoup soutenu Murat qui leur rendait bien en partageant de nombreux inédits sous forme de cadeaux lors de jeux de pistes mémorables. Outre la conférence d’Agnès Gayraud, le micro fut ouvert à une multitude d’artistes talentueux reprenant des morceaux tantôt obscurs, tantôt emblématiques de Murat, sous l’appellation du « Grand Tribute » : La Féline, Bertrand Louis, Tristan Savoie, Erik E. , les Dory 4, Sébastien Polloni, Lucile Mikaelian (avec son père, l’harmoniciste Pascal « Bako » Mikaelian, qui a accompagné entre autres Manu Lanvin, Rachid Taha, Patrick Verbeke, Beverly Jo Scott), L’autre Philippe, Soleil Brun, M. de Fleur, Charcot, Alain Bonnefont, Delayre, Tristan Savoie… Impossible de préférer plus l’un ou l’autre. J’avoue que j’ai du mal avec les reprises, tellement la voix, le phrasé, le style de l’original est présent dans mes oreilles. Quelques extraits dans la vidéo en lien.
Les musiciens se sont succédé de manière fluide. Dans la salle, ils s’observaient avec envie, s’applaudissaient, s’encourageaient. Le Fotomat était plein comme un œuf. Plus d’une centaine de personnes est restée jusqu’au bout de la soirée qui s’est terminée par un set bluesy ponctué de la diffusion d’images rares. « Bako » partagea un souvenir remontant à la coupe du monde 1998, Murat étant grand amateur du ballon rond.
À titre personnel, j’ai apprécié le chant en mode « falsetto » de Michael de Fleur, l’énergie des Dory 4 sur L’au-delà et leur justesse sur Un Singe en Hiver, la reprise touchante de Sentiment nouveau par L’autre Philippe, et aussi la voix singulière et fragile du jeune Tristan Savoie, fantastique sur Perce-neige.
Samedi, je remarque la présence de Yann Bergheaud, fils aîné de Jean-Louis. Il y avait aussi Véronique Jeetoo, dernière compagne de Murat, dont la superbe photographie en noir et blanc orne la couverture de La vraie vie de Buck John. Gros moment d’émotion lorsque le duo Bonnefont-Clavaizolle (présent à Roche-Charles en 1991 !) rejoint Jérôme Caillon pour une prestation très spéciale.
Le public fut extrêmement ému d’entendre les deux compagnons de la première heure réunis le temps d’un morceau-hommage très touchant : Le berger de Chamablanc. A côté de moi, les yeux fermés, un grand gars chevelu fredonne les paroles qu’il connait par cœur. Le public est composé à la fois de fans de la première heure, désormais sexagénaires, mais aussi de jeunes gens sensibles à la poésie. Chapeau à l’orga dont l’infatigable et insatiable Pierrot ! Ce rendez-vous est destiné à devenir un incontournable pour les amateurs pointus de Murat.
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Le ramasseur de myrtilles à la rencontre de ses lecteurs…
Jean-Louis Murat, le ramasseur de myrtilles est un recueil de 35 interviews radio et télé couvrant plus de trente ans de carrière de l’artiste, de Cheyenne Autumn à La vraie vie de Buck John.
C’est un hommage marquant le premier anniversaire de la disparition de Jean-Louis Murat, sous la forme d’une retranscription intégrale des propos du chanteur et des journalistes, sans commentaire ni analyse pour laisser le lecteur se faire sa propre opinion.
Gros mots, mots tendres, propos profonds ou légers, ce sont de multiples facettes qu’il découvre dans ces 230 pages. Cette nouvelle lecture procure un sentiment totalement différent d’un visionnage ou d’une écoute. Mon projet s’inspire de la démarche de Florence Couté qui, à travers son vlog Le moujik et ses phrases tente d’expliciter certaines chansons de l’Auvergnat.
Ce week-end me donna aussi l’occasion de la remercier chaleureusement pour son coup de main sur ce projet, qui va en appeler d’autres. Quel bonheur d’échanger au débotté avec de purs amateurs. Sentiment étrange, quoi que très agréable, de se faire aborder par des inconnus appréciant les podcasts « Douharesse JLM » sur Ouest Track. Gratitude à Pierrot pour l’invitation.
Texte, photo et vidéo : Patrick Ducher
Quelques extraits du week-end :