C’est dans le cadre très agréable des Musicales du Parc des oiseaux de Villars les Dombes que Bernard Lavilliers faisait sa rentrée française avant de poursuivre une tournée marathon entamée plusieurs mois après la parution en novembre 2021 de son 23ème album studio Sous un soleil énorme. Les pluies diluviennes qui s’étaient abattues en milieu d’après-midi sur la région lyonnaise ont miraculeusement cessé. Le public nombreux a pu admirer un magnifique coucher de soleil et se laisser bercer par le chant de nombreux volatiles exotiques…
À 21 heures pétantes, le groupe fait son apparition sous les vivats. Pas de changements par rapport au concert de la salle 3000 à Lyon en mai, à savoir : Xavier Tribolet aux claviers, Marco Agoudetse aux saxes et percussions, Oliver Bodson à la trompette et aux guitares, Michael Lapie à la batterie, Vincent Faucher aux guitares et Antoine Reininger à la basse et contrebasse. Le sextet est rôdé et les sourires font plaisir à voir. Ces gars-là se connaissent depuis des lustres et semblent manifestement heureux de jouer ensemble, l’intégration du jeune bassiste s’est apparemment faite de façon fluide.
Un public fidèle au rendez-vous
Avant de pénétrer dans l’enceinte des Musicales du Parc des oiseaux, nous avions pu entendre quelques titres joués pendant la balance : Beautiful days, Marin, Stand the ghetto, La Salsa, Noir tango et Sertao. Sur ce dernier morceau, pas moins de trois tentatives, apparemment infructueuses puisqu’il ne sera pas joué. Marco Agoudetse met de l’ambiance dès le début, exhortant les gens à frapper dans leurs mains. Un fan-club de bruyantes groupies massées à la gauche de la scène a d’ailleurs tenté d’implorer un roadie pour le rencontrer backstage.
Le public est composé majoritairement de seniors. La fosse est squattée par quelques aventureux ravis de pouvoir se masser devant, au plus près de l’artiste, et marquer des signes de reconnaissance par t-shirts interposés. Du reste, l’artiste ne va pas les décevoir, paradant avec majesté et grâce devant eux, esquissant quelques pas de danse et mouvements de boxe. Le chanteur est toujours très classe, sanglé dans son caban de pirate et son pantalon de cuir noir.
Des titres impérissables
Le répertoire de festival est généralement plus “light” que pendant un concert normal. Il est cependant bien dosé, avec un subtil équilibre de chansons qui pulsent, de moments d’émotion et, bien sûr, quelques piques politiques à l’intention de petits marquis jamais élus, de sanguinaires dictateurs ou de troisièmes couteaux maléfiques. Dans Le cœur du monde, le chanteur dit : « Je croise de plus en plus la haine, la peur, la mort, c’est presque une attitude, ça devient l’habitude ».
Lavilliers a toujours su humer l’air du temps et livrer un regard tout à tour tranchant, poétique ou émouvant sur de nombreux sujets. Il commente moins la situation hexagonale, sans doute parce que certains contours sont désormais beaucoup plus flous. Quoi qu’il en soit, la hargne est intacte, moins virulente, mais plus subtile.
Le méga-tube Idées noires, revenu au répertoire depuis quelques années, est scandé par tous ceux qui l’avaient entendu à sa sortie en 1983. Chaque tournée est l’occasion de revisiter son autre succès, On the road again. Il apporte quelques changements aux arrangements de ce titre emblématique et le public répond à l’unisson et au quart de tour. Point de Trafic, de Noir et blanc, de Betty cette fois-ci. Dommage. Sur Je cours, le tandem Bodson-Agoudetse déploie une énergie monstrueuse : « Mes poumons ont de l’amplitude, Je vais prendre de l’altitude je cours, Comme un forcené un dément, Contre la montre à contre temps, je cours… ».
Groove, Baby Groove
Sur Stand the ghetto que l’on croit connaître par cœur, le chanteur et son groupe parviennent encore à surprendre avec trois bouts de ficelle : « Les musiciens jamaïcains n’avaient pas de moyens et ont fait preuve d’imagination. Ils ont été copiés par tout le monde ensuite » lance un Lavilliers goguenard, tandis que Xavier Tribolet entame un dub hypnotique. À 76 ans, le Stéphanois est toujours alerte, même si le souffle est plus contrôlé. Il descend de scène pour aller au plus près de ses fans, monter quatre à quatre les marches de la tribune et se livrer à une Salsa endiablée. Une personne en fauteuil tapait des pieds et c’est tout juste si elle ne s’est pas levée !
Pas de changement de répertoire pour les Musicales
À défaut de surprises, le répertoire couvre près de 50 ans de carrière, de Fortaleza à Beautiful days. Mention spéciale au très romantique Toi et moi, l’adaptation d’un succès de 2004 du chanteur brésilien Seu Jorge (Tive Razão) : « C’est pas toujours facile, toi et moi. Toujours indivisibles, toi et moi. Si le sensible rit encore, on se caresse, on se dévore ». Le chanteur invite la foule à fredonner des « ouh-ouh-ouh » et semble satisfait de son entrain. Sensualité, hargne, déhanchement, évasion (« C’est pas moi qui ai fait les voyages, C’est les voyages qui m’ont fait »), tous les ingrédients d’un concert réussi de près de 1 heure 45.
Photos et texte : Patrick Ducher
La setliste : 1. Les portenos sont fatigués 2. Voyageur 3. Scorpion 4. Samedi soir à Beyrouth 5. Je cours 6. Beautiful days 7. 3ème couteaux 8. Bon pour la casse 9. Fortaleza 10. On the road again 11. Le cœur du monde 12. Noir tango 13. Idées noires 14. Stand the ghetto 15. Toi et moi 16. Borinqueno 17. La salsa Rappel : 18. Marin 19. Les mains d’or