Bertrand Belin a sans doute profiter de sa présence dans la pièce de Marc Lainé En travers de sa gorge, du 7 au 11 novembre, au théâtre de Célestins, pour offrir un nouveau concert aux Lyonnais. Parmi eux, Patrick Ducher qui nous livre son compte-rendu.
Bertrand Belin doit bien aimer bien Lyon. Il y est venu deux fois en 2021 : au théâtre de la Croix-Rousse puis à l’Opéra (avec la Féline). Il arrive, la démarche justement féline, dans le très feutré Auditorium de Lyon. Le décor est minimaliste en toile de fond (une ville, un piano ?) et l’éclairage soigné. La soirée sera compacte. 1 heure 40 pile, tel qu’annoncé sur le billet.
Les textes de Bertrand Belin : des « cut-ups » à la Bowie
Sur scène, cinq musiciens l’accompagnent : un batteur, un joueur de marimbas, deux claviéristes (dont un double à la basse) et un guitariste. Belin lui-même tâtera de la guitare pour quelques rares solos épiques.
Il entame le spectacle l’air de rien, en déroulant ses petites chansonnettes. Il faut tendre l’oreille, car il fait partie de ces chanteurs à texte qui ne révèlent leur profondeur qu’après plusieurs écoutes. Ses paroles donnent l’impression de « cut-ups » à la Bowie, comme s’il avait assemblé des mots sur une feuille à cause de leur sonorité et leur conférer un sens a posteriori.
Goguenard, il explique que des personnes lui auraient dit : « C’est bien, avec tes paroles, on n’a pas besoin de penser ». Et le voilà qui déclame « National », une litanie de mots autour de l’expression (« ambition nationale », « fête nationale », « deuil national », « effort national », etc.). « C’est la vie du monde des pays… » conclut-il, laconiquement. Avant d’embrayer avec « Sur le cul », dont les paroles se limitent à raconter l’histoire d’un type, et d’une meute de types, sur le derrière. Façon masquée et maline de dénoncer l’immobilisme de l’être humain ?
Un heure pour chauffer une salle un peu trop sage
Les arrangements sont discrets. Tout juste remarque-t-on le claviériste au look improbable : chevelure digne d’un joueur de foot allemand des années 70, en short, chaussettes et chaussures. Il joue d’un synthé à l’ancienne qui ressemble à un VCS-3. La texture sonore est pop-techno par moment, mais reste discrète pour ne pas couvrir la voix du chanteur.
Du reste, il faut une bonne heure pour chauffer une salle relativement sage. Il suffit de quelques mouvements de bras et de déhanchements maniérés pour l’enflammer. Moqueur, Belin décrit l’estrade noire et ovale face à la scène comme un pédiluve qui crée une distance entre lui et son public. Lors des rappels, il invitera les spectateurs à se rapprocher, au grand dam du personnel de l’auditorium, soucieux de ne pas voir la fragile construction s’effondrer. Le chanteur s’excuse rapidement, mais s’octroie le privilège du chanteur à venir dessus tantôt pour jouer de sa Gretsch, tantôt pour se rapprocher des premiers rangs, notamment sur le très émouvant « Oiseau ».
La salle est debout, touchée par la finesse des textes, la grâce du bonhomme imprégné de Bashung (pour la voix) et de la poésie de Christophe Tarkos (pour l’absurdie de ses textes). On aurait aimé entendre « Hypernuit » ou « Folle, folle, folle », mais on repart la tête dans la lune, avec l’image du chanteur murmurant « La comédie, ou le drame, peut à nouveau hisser pavillon». Prophétique ?
Texte photos et vidéo : Patrick Ducher