Bertrand Belin était de retour à Lyon. Souvenez-vous : en juin dernier, j’avais chroniqué son passage au théâtre de la Croix Rousse, où il était impeccablement accompagné de l’ensemble Percussions et Claviers de Lyon. Le revoilou, cette fois-ci pour une « carte blanche » concoctée avec Agnès Gayraud, aka leader du groupe La Féline. Bertrand Belin et La Féline, c’est une programmation de dix jours – du 13 au 21 novembre – autour de leur goûts musicaux et plastiques communs à l’opéra de Lyon (pour Opéra Underground). Deux univers bien distincts, mais des passerelles autour de l’intimiste, du poétique, de l’imaginaire.
Le décor est surprenant : des éléments de chantier (barrière, sacs, palettes) sont disposés en vrac en la scène. On a l’impression d’une construction en train de se monter. Belin explique, pince-sans-rire, qu’à l’Opéra « on a un gros budget ». Le public pouffe. Ce soir, il est fidèle à lui-même. Elégant, un brin lunaire, une longue mèche de cheveux sur le côté. Il va dérouler une dizaine de chansons, seul à la guitare acoustique. Entre chaque titre, il livre un commentaire narquois sur lui-même. Après l’emblématique « Hypernuit » qui a lancé sa carrière il y a une dizaine d’années, il lâche « Voilà, c’était mon seul succès. Normalement, ça se joue en fin de spectacle, mais comme souvent je fais les choses à l’envers… ».
Ses chansons sont peuplées d’êtres un peu cassés, d’histoires en apparence biscornues. Il se hasarde à une reprise de Dylan (« Ain’t Talking » rebaptisé « Le feu au cœur ») et raconte que son ingé son pensait qu’il s’agissait de sa propre compo. « Où est la légende, où est la vérité ? » questionne-t-il amusé. Son inspiration vient de petits riens. « Mais regarder par la fenêtre ne donne pas que des choses géniales » avoue-t-il. « Par exemple, si jusque-là, aviez eu du Proust, là, ça va changer ». Et il décortique sa mécanique créative. Choc des syllabes, répétitions. Le verbe est un instrument percussif à part entière. Et cela donne « Folle, folle, folle » aux paroles minimalistes. D’une silhouette qui rentre sous la bruine, il tire un morceau de 7 minutes. Et on ne voit pas le temps passer, même si à peine une heure s’est écoulée.
Bertrand Belin et La Féline : minimaliste pour l’un, gros moyens pour l’autre !
Avec La Féline, changement de décor : on a droit à un orchestre d’une vingtaine de musiciens, avec une majorité de cordes, quelques cuivres. « Avec Bertrand, c’était minimaliste, nous on a mis les gros moyens » explique Agnès Gayraud. Un globe terrestre trône sur le devant de la scène, les musiciens de la Féline (basse, batterie, deux percussionnistes) occupent la moitié droite de la scène. L’ambiance est onirique. Images de globe terrestre, de fusées, mais aussi d’animations qu’on imagine tirées de tableaux de Matisse.
La voix est sensuelle et ressemble un peu à celle de Kate Bush, l’explosivité étant remplacée ici par un flow tout en maitrise. Le spectateur n’est pas dépaysé car on reste dans une atmosphère nimbée de mystère. Les textes sont parfois poignants, mais livrés avec une douceur qui tranche avec le sujet (« Adieu l’enfance, « La nuit du rat », « Tant que tu respires »). Tombant sa veste dorée, Agnès raconte que la chanson suivante lui a été inspirée en rentrant d’une fête et livre « Effet de nuit » aux arrangements de cordes impeccables. Le public applaudit chaleureusement cette pop minimaliste et poétique.
« Le monde a changé, quelle importance ; Nous sommes jeunes et nous sommes fiers » susurre-t-elle. Forever young donc.
Reportage et photos de Patrick Ducher