PIND faisait escale à Lyon les 1er et 2 juin dernier. PIND, Punk Is Not Dead, est le projet le plus ébouriffant du moment : initié par les historiens et chercheurs Solveig Serre et Luc Robène, il a pour but d’étudier 40 ans de scène punk en France. Cela pourrait presque passer pour une blague de profs potaches, si le sujet ne s’avérait complexe, posant de multiples questions très profondes sur les contre-cultures.
2 juin, 9h30, Nouveau théâtre du 8e (NTH8), 22 rue du Commandant Pégout, on s’active. Le libraire de Le livre en Pente installe son stand dans le hall : des raretés sur le sujet en français et en anglais, et quelques bizarreries comme les 3 tomes des mémoires de Jean-Marc Rouillan, ex Action Directe. Quelques vinyles aussi, dont l’excellent Awo de uKanDanZ.
Petit à petit, public et intervenants arrivent. Moyenne d’âge 50 ans. Normal. Look ? Beaucoup de noir mais décontracté. Avec une petite demi-heure de retard, la journée d’étude commence. Solveig Serre et Luc Robène rappellent la génèse du projet et en détaillent les intentions.
Solveig Serre est ancienne élève de l’École Nationale des chartes, docteur en histoire de l’Université Paris 1 (2006) et chargée de recherche au CNRS (depuis 2012). Elle est également chargée d’enseignement à l’École Polytechnique et à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.
Luc Robène est professeur à l’Université de Bordeaux et chargé de cours à l’École Polytechnique. Ses recherches portent sur l’histoire de la culture et des pratiques culturelles en France et en Europe. Luc Robène a aussi (peut-être surtout ?) été un des guitaristes de Noir Désir et est toujours celui de Strychnine. Du lourd donc !
Le projet : « résolument interdisciplinaire, il utilise la notion de scène comme cadre d’analyse […] Il aimerait contribuer à faire accéder cet objet à une légitimité thématique, scientifique et épistémologique en montrant combien le punk représente un prisme décisif pour éclairer les modes de résistance et d’innovation qui structurent les développements de la société contemporaine. Outre un volet de recherche fondamentale, le projet développe un volet patrimonial d’envergure, en s’appuyant sur des partenaires institutionnels et associatifs. »
C’est dans ce cadre d’inventaire du patrimoine, en partenariat avec les acteurs locaux de la scène punk, que l’équipe se déplace partout en France.
Cette présentation faite, on entre dans le vif du sujet avec Didier Kelvin, ex chanteur de Suzie B. ex animateur de la mythique Radio Bellevue. Son discours surprend : il n’a rien gardé de cette époque, n’en garde pas un grand souvenir, n’était pas un bon musicien etc, etc ! Finalement à force de le pousser dans ses retranchements, il admet que oui, Suzie B. n’était pas si mal et que d’ailleurs un des musiciens a conservé « en cachette » toutes les archives du groupe !
Une des raisons d’être de PIND : collecter une mémoire fragile qui s’éteint très rapidement
Ce discours sera entendu à plusieurs reprises pendant la journée. Lyon n’a jamais été une ville punk, les emblématiques Starshooter n’ont jamais été punk, pas plus que Marie et les Garçons et leur fameux polo. A la rigueur Electric Callas, et encore !
Cela en dit long des réticences que soulève PIND. Etudier, voire patrimonialiser un mouvement qui revendiquait l’absence de futur, une énergie et une révolte toute adolescente, le « Do it Yourself », une créativité sans limite (et surtout pas celle du n’importe quoi) cela peut choquer des vétérans inquiets d’être dépossédé de ce qui fut soit un trésor caché pour initié, soit un mauvais souvenir. Derrière tout ça, il y a pas mal de rêves abandonnés, d’échec, voire pire. De nombreux punks ont fini dans des squats ou SDF, avec un taux élevé de mortalité. L’amertume est palpable autant chez certains intervenants que dans le public.
C’est d’ailleurs bien une des raisons d’être de PIND : collecter une mémoire fragile qui s’éteint très rapidement.
A ce sujet les interventions de Marguerite Zion de l’Université Lyon 3 sur les enjeux de la patrimonialisation du punk lyonnais, et de Cyril Michaud, de la bibliothèque de la Part-Dieu sur le projet d’exposition sur la scène rock lyonnaise de 1978 à 1983, ont parfaitement posé les questions qui fâchent. Reste que devant le succès de l’appel aux témoignages lancé par la bibliothèque, l’exposition se fera surement dans un lieu plus vaste que prévu. Autour de l’exposition, plusieurs évènements devraient avoir lieu, dont des concerts de groupes qui se reformeraient pour l’occasion. Les organisateurs auraient déjà obtenu l’accord de certain. On n’en saura pas plus !
Parmi les autres interventions, citons la passionnante étude d’Olivier Migliore musicologue l’Université Paul Valéry de Montpellier sur la prosodie de Kent. Où il s’avère que la manière de chanter du chanteur n’a que très peu évolué, malgré les apparences, entre le tout premier album de Starshooter, et son dernier disque solo.
Et puis une très belle analyse des influences esthétiques de Marie et les garçons par l’historienne de l’art Marine Schütz, de l’Université Rennes 2.
Le tout avec des images d’archives qui montrent que même si la punkitude lyonnaise n’était pas très pure musicalement parlant, l’ambiance était belle et bien là. En outre, ces précurseurs ont largement contribué à la naissance d’une scène post punk new et cold wave, elle authentiquement riche, avec des groupes fameux comme Tales ou L’Enfance éternelle, dont le chanteur, Denis Lecarme, faisait aussi partie des intervenants de samedi
Emmanuelle Blanchet
Les captations des interventions sont à retrouver sur le site particulièrement riche de PIND
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