Le texte figurant sur l’album Afrique de Count Basie, sorti en 1971, l’affirme : si cet album sonne juste et moderne, contrairement à bon nombre de disques de jazz de cette époque, c’est parce que ses auteurs se sont appuyés sur leur solide compréhension de la tradition jazz, pour mieux s’en libérer. C’est la même démarche que Lionel Martin a proposé à Sangoma Everett pour Revisiting Afrique. Mais comment est né le projet et comment ont-ils travaillé ? Comment passe-t-on d’un format big band à un duo ? Rencontre avec Sangoma Everett.
Comment s’est passé votre rencontre avec Lionel Martin ?
Sangoma Everett : J’entends parler de Lionel depuis que je suis à Lyon, soit une vingtaine d’années ! C’est par un ami commun, Thierry Serrano [directeur du festival A Vaulx Jazz entre 2002 et 2016] qu’on s’est vraiment rencontré. On a ensuite joué ensemble au Péristyle, à l’opéra de Lyon, en juillet 2017, avec Nassim Brahimi et Fred Escoffier.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans sa proposition de reprendre Afrique ?
Sangoma Everett : Cet hommage à Count Basie m’a emballé parce que l’idée de Lionel était de remplacer le big band par un duo ! J’aime beaucoup jouer en duo. Je garde un grand souvenir d’un duo avec Mal Waldron, dernier pianiste de Billie Holiday…
Comment avez-vous travaillé ?
Sangoma Everett : En jazz on travaille beaucoup seul… J’ai énormément écouté le disque… sur YouTube. Puis je l’ai retranscrit pour batterie et j’ai recherché des rythmes. Je suis ainsi arrivé avec des propositions à Lionel pour les répétitions. On a répété chez moi, pendant près de 2 mois avant l’enregistrement. Il faut beaucoup répéter et travailler pour avoir l’idée qui nous permet de nous exprimer…
Votre parcours, notamment avec des légendes du jazz, est très différent de celui de Lionel, qui se revendique, entre autres du punk. Pourtant votre duo fonctionne ! Qu’avez-vous en commun ?
Sangoma Everett : Sans hésiter : nous sommes tous les deux des passionnés. Et nous sommes tous les deux curieux des différents types de musiques. Actuellement, j’ai un projet d’hommage à Gershwin et Cole Porter avec trois musiciens classiques, dont le pianiste François Dumont. Et je suis très ami avec le pianiste lyonnais Pierre Laurent Aimard… Mais Lionel a quelque chose d’exceptionnel : il est très créatif et instinctif. Il recherche les moments où l’on peut perdre le contrôle, être libre de s’exprimer, de laisser apparaitre une magie imprévue. J’aime le suivre sur cette voie…
20 ans donc que vous vivez en France. Qu’est-ce que qui vous a fait choisir ce pays ?
Sangoma Everett : Après avoir vécu 2 ans à New-York, le saxophoniste Clifford Jordan m’a demandé si j’avais envie de jouer avec lui. Nous sommes partis en tournée, avec notamment des dates en Guadeloupe. Là-bas je me suis fait des amis… parisiens, qui m’ont proposé de m’héberger si je venais en France. Un an plus tard j’arrivais ! Ici, les conditions pour jouer sont vraiment bonnes…
Vous avez eu l’occasion de jouer avec les plus grands musiciens de jazz ? Quels sont vos meilleurs souvenirs… et les pires ?
Sangoma Everett : Une des rencontres qui m’a procuré le plus de plaisir : le pianiste Kirk Lightsey. Jouer avec lui c’était l’osmose parfaite. Mon pire souvenir : l’époque où je jouais avec un big band à New-York. J’étais très pris par un divorce et n’avait pas le temps de répéter. C’était un cauchemar ! Ma rencontre avec Miles Davis, sur le tournage de Dingo [réalisé par Rolf de Heer en 1991, avec une BO signée Miles Davis et des arrangements de Michel Legrand] est aussi un grand souvenir. Cela n’a duré que trois jours, mais nous avons beaucoup parlé pendant les temps d’attentes. Nous nous mettions dans un petit coin… On parlait de Kenny Clarke, Tony Williams, Barney Wilen, qui avait joué avec lui sur la BO de Ascenseur pour l’échafaud. Il me demandait de ses nouvelles parce que je le connaissais un peu. Je tiens à dire que contrairement à sa réputation, il était adorable…
Quels sont projets ?
Sangoma Everett : J’enregistre avec le pianiste Emil Spanyi, le bassiste Christophe Lincontang, le percussionniste afro-cubain Javier Campos, et une chanteuse pour qui j’ai écrit des chansons. Je suis à la recherche une maison de disque…
Emmanuelle Blanchet
L’album est sorti en mai 2019 sur le label Ouch ! records (vinyle) et chez Cristal Records (CD)