Du 3 au 5 mars se tenait la Fête du livre de Bron avec plus de 70 auteurs, des ateliers, des lectures, des tables ronde… Et parmi celles-ci, Patrick Ducher a choisi celle intitulée « Vivre en rock’n roll » avec notamment Michka Assayas. Compte rendu de la discussion où son thème favori, les Pink Floyd, occupait une place non négligeable !
C’est par pur hasard qu’en consultant le programme de la fête du livre de Bron, je découvre une table ronde intitulée « Vivre en rock’n roll », avec trois invités de choix : Michka Assayas (animateur de l’émission « Very good trip » sur France Inter et auteur de Une histoire intime de la musique), Jean-Michel Espitallier (poète et essayiste, auteur entre autres d’un livre sur Syd Barrett intitulé « Syd Barrett, le rock et autres trucs ») et Pascal Bouaziz (chanteur, musicien, auteur-compositeur de Mendelson et auteur d’un livre-portrait sur Leonard Cohen).
Le descriptif du site de la FLB était sibyllin : « Trois écrivains, critiques rock ou musiciens explorent leur goût pour la musique – en particulier le rock’n’roll, entre portraits d’artistes, exégèses musicales et exercices d’admiration ». Si tous les trois ont chacun leurs figures tutélaires (Beatles, Joy Division, Low), Pink Floyd ne fut pas absent d’un débat absolument passionnant mené pendant près de 1 heure 30 par Yann Nicol dans la salle des parieurs de l’hippodrome brandillant.
Pascal Bouaziz, venu évoquer le poète canadien décédé en 2016, avoua qu’à l’adolescence, il avait été très profondément marqué par The Wall, qu’il écoutait en K7 audio sur un magnéto en auto-reverse. Ce qui nous faisait un point en commun, sauf que moi, ce sont les sillons du double 33 tours que j’ai usés jusqu’au bout. Il est vrai que quand on est ado, on crée parfois un mur autour de soi, on se replie dans son univers à soi, peuplé entre autres de musiques, de soli de guitares qui transportent l’âme et l’imagination. « Un joyeux effroi en quelque sorte » lui confiais-je.
Pour Michka Assayas « le rock a inventé la jeunesse, mais aussi une façon d’être vieux »
Jean-Michel Espitallier a révélé qu’il avait rencontré Syd Barrett … sans vraiment pouvoir lui parler. En 2004, l’idée lui vient de se rendre à Cambridge pour rencontrer son héros. Espitallier avait traduit la biographie rédigée par Tim Willis et intitulée Syd Barrett – le génie perdu de Pink Floyd. Il s’était donc mis en tête de lui présenter le livre. Il fait le pied de grue devant la petite maison et voit Syd en sortir avec sa sœur et s’engouffrer dans une voiture blanche.
Il se trouve juste à côté et n’arrive pas regarder son héros en face « C’est finalement lui qui m’a regardé. J’étais tétanisé, incapable de dire quoi que ce soit. J’avais 45 ans, j’étais marié et j’avais deux enfants. Ce ne sont pas des choses qui se font à cet âge-là » avoue-t-il. Rires dans la salle.
Son compère Michka Assayas cite Jean Giono : « La jeunesse, c’est s’intéresser à l’inutile ». Il ajoute qu’écouter de la musique, ce n’est pas « sympa ». C’est un investissement émotionnel. Pour lui « le rock a inventé la jeunesse, mais aussi une façon d’être vieux ». Il est vrai dans les sixties et seventies, écouter certains types de musiques pouvait constituer un acte de rébellion. Pour Espitallier : « les punks, crasseux, malhabiles avec leurs instruments ont fait croire que tout le monde pouvait faire de la musique, c’était décapant ! ».
Mais Pascal Bouaziz tempère la vision romantique associée trop souvent au rock : « Quand les MC5 sont venus jouer dans un festival organisé par le promoteur Bill Graham, ils représentaient tout ce que le rock avait de sulfureux avec leur fameux « Kick out the jams, motherfuckers ». Or, ces derniers sont arrivés en limousine. Des rebelles de pacotille ? « Tout comme les Clash, pas vraiment punks », renchérit Assayas. Mais qu’importe. En fait, le rock, c’est aussi savoir être là au bon moment, avec la bonne attitude pour jouer la bonne musique. La posture fait partie intégrante de la mythologie !
Et puis, il reste la rencontre – magique, loupée ou imaginée – avec les idoles. En 1982, Assayas a 23 ans lorsque Jean-François Bizot, le patron du magazine Actuel l’envoie interviewer Syd Barrett. J’évoque l’anecdote dans mon livre Pink Floyd en France. Le reportage avait été réécrit et bidonné par le magazine pour spectaculariser un échange somme toute complètement banal. Quoi qu’il en soit, c’est la voix tremblante que l’animateur partage un émoi de plus de quarante ans. Cette rencontre reste pour lui l’événement le plus marquant de sa carrière m’écrit-il dans une dédicace de son récent recueil, « Very good trip », un livre d’entretiens avec la journaliste Maud Berthomier.
Bouaziz, de son côté, trouvait anormal de partager son amour pour Cohen avec plusieurs milliers de personnes. « Il ne devait être qu’à moi seul, c’était un père de substitution », ajoutant pince-sans-rire que la séparation des Beatles avait été une tragédie, qu’il a apparentée au divorce de ses parents. « Lennon tenant le rôle du père, McCartney de la mère ».
Quant à Espitallier, il se déclare fasciné par la figure psychédélique de Barrett. Au début de son dernier ouvrage intitulé « Du rock, du punk, de la pop et du reste », il détaille minutieusement l’état émotionnel dans lequel se trouve le spectateur d’un concert rock, depuis l’attente de la première partie, la prestance – ou la décrépitude – des héros sur scène, les morceaux attendus, les rappels, etc., bref, tout ce qui fait partie du barnum rock.
Shine on !
Reportage, photos et vidéo Patrick Ducher