Après Nick Cave, et Patti Smith, Patrick Ducher poursuit sa tournée des légendes du rock ! Il nous livre cette fois un reportage du concert de deux groupes mythiques réunis le temps d’une soirée le 28 juin au festival Printemps de Pérouges : Ange et Deep Purple
King Crimson et Magma avaient fêté leurs 50 ans de scène avec panache en 2019 lors des nuits de Fourvière. Ange, le mythique groupe de prog-rock français avait loupé les célébrations avec son fidèle public pour cause de Covid. Qu’importe, les Belfortains ont repris la route pour une tournée d’adieu forcément émouvante. Mais que dire des Britanniques de Deep Purple ? Leur chanteur emblématique Ian Gillan va souffler 77 bougies en août 2022. Bon pied, bon œil, les deux groupes ont fait le job, mais pas plus, au festival de Pérouges qui fêtait ses 25 ans. Environ 6 à 7.000 personnes un mardi soir, pas mal.
Une ouverture très attendue
La créatrice du festival, Marie Rigaud, invite le public à applaudir le travail des techniciens qui ont œuvré jusqu’au tout dernier moment pour accueillir les festivaliers dans de bonnes conditions. Il est vrai que le show a commencé avec près d’une heure de retard, ce qui a privé le public du set de la chanteuse et guitariste Gaelle Buswel. Dommage. Quelques minutes avant l’ouverture des portes, des machines s’affairaient encore sur la prairie bosselée du polo club de la plaine de l’Ain. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les fans de hard rock sont patients et compréhensifs. Il est vrai qu’ils en ont vu d’autres, car les habitués sexagénaires et septuagénaires des festoches ont l’âge des musiciens. Ce sont donc des festivaliers enjoués qui encouragent de la voix des techniciens postés à près de 10 mètres de hauteur, en train de s’escrimer à arrimer une bâche de protection pour la régie, dernier détail avant d’ouvrir la plaine au public. Notez bien que tout est fait pour que celui-ci se sente à l’aide : stand de victuailles solides et liquides, bancs, merchandising et même un restaurant sous tente (pour cause de temps changeant ces derniers jours).
Le monde angélique
C’est sous les vivats que les musiciens de Ange arrivent sur scène. Le set sera cependant très court, à peine une heure étant donné le retard pris à l’ouverture, et il devra même sabrer un titre du rappel. L’élastique guitariste Hassan Hajdi donne le ton : le son sera à la fois mélodieux et … hard. J’avoue très mal connaître le mythe. J’ai écouté un des disques culte Emile Jacotey (1975), il y a des dizaines d’années, mais être passé au travers de la poésie des textes du fondateur-patriarche à l’épaisse barbe blanche, Christian Decamps. Quoi qu’il en soit, le groupe fait indubitablement partie du patrimoine musical français et international. Dans ses années d’or, les seventies, il tenait le haut du pavé à côté des Anglo-saxons, qui le respectaient. Dans l’hexagone, il était tout aussi adoré, de la trempe des Yes, Genesis et consorts. Comme beaucoup, il a connu de multiples transformations. Reste que, plus de 50 ans plus tard, il est encore là. Tel un Yoda, Decamps s’avance lentement sur scène, un rictus mystérieux aux lèvres. La démarche est lourde, mais le geste sûr. Il est tout de noir vêtu et coiffé d’un galure informe, noir lui aussi. Il déclame ses paroles avec emphase, ce qui donne aux textes une dimension particulière. Je remarque que sa main droite est déformée par une épaisse cloque. Le groupe met en scène son leader. Celui-ci s’éclipse le temps de troquer son haut de forme cabossé pour une casquette de marin. Il se meut désormais à l’aide d’une canne et trimballe une chouette empaillée à son bras. Son fils Tristan le couve du regard. Les sons qui sortent de son clavier tissent des nappes moelleuses. Flashback de mes années Genesis, des albums comme Selling England By The Pound (1973) ou A Trick Of The Tail (1975).
Du Brel en final
Decamps martèle le sol pour ponctuer les riffs puissants de son guitariste. Le final est particulièrement marquant avec une interprétation très piquante de Ces gens-là, de Jacques Brel. Le Belge a eu une influence marquante sur lui, puisqu’il l’a vu à 17 ans à Montbéliard. “Le français a une belle phonétique” disait-il en 2019 dans un reportage sur France 3 Bourgogne Franche-Comté. Il en a certainement emprunté la grandiloquence. Je me dis aussi que la hargne du barde vosgien vient peut-être de ses parents, grands résistants (sa mère est décédée à l’âge de cent ans). Dans ses jeunes années, il portait une fringante moustache et une longue crinière brune. Il incarnait (incarne) par ailleurs un des très rares groupes français à connaître la popularité en chantant des textes, parfois obscurs, en français, à l’instar du voisin dolois, Hubert-Felix Thiéfaine. Il continue de drainer un public fidèle depuis des dizaines d’années. L’un d’entre eux a même vu le groupe 115 fois !
La couleur pourpre
Les Britanniques, quant à eux, font partie du triumvirat ayant inventé le rock lourd à la toute fin des années 60, en compagnie de Led Zeppelin et de Black Sabbath. Ils sont marqués à jamais dans l’inconscient musical mondial par un titre emblématique, Smoke On The Water, dont les réinterprétations ne se comptent plus, comme les diverses incarnations et fâcheries au sein du groupe. Le batteur métronomique et discret Ian Paice reste néanmoins inamovible depuis les tous débuts. Le bassiste Roger Glover et son bandana qui lui recouvre le crâne est toujours là aussi. Il livrera un solo époustouflant, de même que le claviériste Don Airey, présent depuis 2002 après le départ de Jon Lord (décédé en 2012) auquel Gillan rendra hommage.
Un seul être vous manque…
Un membre manque à l’appel, le guitariste Steve Morse, connu pour ses envolées et improvisations flamboyantes, notamment en introduction de Smoke… L’ américain a décidé au printemps de s’occuper de son épouse, victime d’un cancer. Il est remplacé temporairement par le jeune (43ans) Simon McBride, qui avait préalablement tourné avec Airey et Gillan. L’irlandais originaire de Belfast a fait le job et un peu plus. Mais à force de jouer au virtuose, il finit par trop en faire. Ses solos sont interminables, ses notes n’en finissent plus et s’étirent à l’infini. On lui pardonne cependant, car enfiler les guêtres d’un tel musicien n’est pas donné au commun des guitaristes.
Des classiques au rendez-vous
Je reconnais plusieurs morceaux de l’âge d’or du groupe (70-73) : Highway Star dès l’ouverture, mais aussi Lazy (qui fait référence à un t-shirt froissé et pas repassé dixit Gillan… à quoi tient le rock, des fois), Space Truckin’ et évidemment Smoke On The Water, interprété très sobrement. Gillan est adéquat dans son chant. On sent bien qu’il a du mal à monter très haut comment dans ses jeunes années. 77 ans tout de même. Il reste souvent à l’arrière de la scène à côté de l’estrade de Paice et semble très complice avec Airey. Gillan est cependant impeccable dans le registre du blues lent When a Blind Man Cries. Pas de Child In Time, dommage.
Le job et rien que le job
Une chose est sûre, le quintet connaît son hard rock sur le bout des cordes. Glover (77 ans en novembre) se démène comme un beau diable en arpentant la scène. Le claviériste Don Airey (74 ans) ressemble à une vieille tante fripée qui s’encanaillerait au piano. Il cabotine en se livrant à un petit medley classique intégrant au passage les notes de Alouette, gentille alouette et de… la Marseillaise. Il livrera ensuite un solo tout simplement énorme sur son orgue Hammond. Finalement, seul le batteur, Ian Paice, les yeux masqués de ses lunettes noires rondes, n’aura pas fait d’extravagances. Il aura par contre fait la joie de spectateurs qui recueillirent deux jeux de baguettes ! McBride et Glover distribuent des médiators et se pavanent devant les fans transis. Mais au final, je reste un tout petit peu sur ma faim. Certes, le groupe continue de tourner régulièrement et c’est tant mieux (2010, 2016… les t-shirts en témoignent). Mais je ne peux m’empêcher de trouver un peu mécanique l’interaction avec le public. Le final est un bref bye-bye du groupe qui joue dès le lendemain à Nîmes. Très peu d’interlude entre les morceaux. Pour autant, je n’ai jamais autant capté de vidéos que pour ce groupe-là. Comme pour immortaliser des bribes légendaires qui ne se reproduiront probablement. C’était sans doute maintenant ou plus jamais, le temps d’une rétrospective et d’un retour vers une insouciante jeunesse où la musique tenait une place primordiale. Thank you and good luck.
Texte, photos et vidéos de Patrick Ducher
Musiciens Ange : Christian Décamps : chant ; Tristan Décamps : claviers, chœurs ; Hassan Hajdi : guitare ; Thierry Sidhoum : basse ; Benoît Cazzulini : batterie. Setlist : Le chien, La poubelle et la rose ; L’apprenti sorcier ; Le rêve est à rêver ; Le soir du diable ; Capitaine coeur de miel ; Ode à Emilie ; Ces gens-là..
Musiciens Deep Purple : Ian Gillan : chant ; Roger Glover : basse ; Ian Paice : batterie ; Don Hairey : claviers ; Simon McBride : guitare. Setlist : Highway Star ; Pictures of Home ; No Need to Shout ; Nothing at All ; Uncommon Man ; Lazy ; When a Blind Man Cries ; Time for Bedlam (solo clavier) ; Perfect Strangers ; Space Truckin’ ; Smoke on the Water. Rappel : Caught in the Act ; Hush (solo basse) ; Black Night.
Un extrait du concert de Ange :
Un extrait du concert de Deep Purple :